Jean-Michel Aulas : « Un exploit de niveau international »

Alors que son équipe féminine a réalisé un historique triplé cette saison, en remportant notamment la Ligue des Champions, titre qui échappait à l’OL depuis 2013, Jean-Michel Aulas, le président lyonnais, a accepté de revenir sur les années qui viennent de s’écouler. Le bilan de la « décima », l’Europe, le recrutement, les objectifs pour le prochain exercice… Entretien exclusif.

 

 

Jean-Michel Aulas, où en est le recrutement lyonnais à l’heure actuelle ?

JMA : << Il est bouclé pour la saison prochaine ! À une exception près… Nous sommes très heureux d’avoir pu recruter Dzsenifer Marozsan (en provenance de Francfort), qui constituera un véritable atout pour la saison à venir, car elle a une expérience internationale. Nous avons également travaillé sur les joueuses qui arrivaient en fin de contrat, tout en ciblant les meilleures joueuses de l’hexagone. Je pense que nous pourrons annoncer, dès le 1er juillet prochain, les signatures de quatre joueuses supplémentaires qui viendront compenser trois départs majeurs dans l’effectif. Nous allons aussi nous appuyer sur la jeune génération qui a fait ses preuves lors du dernier match de championnat face à Montpellier au Stade Gerland (match nul 1-1 avec un effectif composé de joueuses habituellement non-titulaires, ndlr). Nous continuons d’étudier une dernière piste de façon à boucler le recrutement, mais nous devrions avoir à nouveau une très bonne équipe la saison prochaine.

 

Vous aviez évoqué le nom d’Alex Morgan comme piste de recrutement …

– Il y a des pistes, en effet, notamment outre-atlantique. Je ne peux pas encore me prononcer sur ce sujet, c’est un dossier compliqué. Des négociations sont en cours.

 

Avec un dixième titre obtenu en D1, l’Olympique Lyonnais est entré encore un peu plus dans l’histoire du football féminin cette année. Quel regard portez-vous sur la saison qui vient de s’écouler ?

– Pour tout vous avouer, je ne pensais pas que nous allions parvenir à réaliser cette performance. C’est le travail de toute une équipe, des joueuses, du staff technique, des dirigeants… C’est un exploit qui est tellement immense que je trouve injuste que certains médias (L’Equipe, précise-t-il) n’écrivent qu’une demi-ligne dans le quotidien du lendemain. Tant sur le plan de la performance sportive, mais aussi de la manière de durer dans le temps, c’est quelque chose d’unique. Lorsque l’on s’intéresse de plus près aux cinq grands championnats féminins autour de nous, on ne trouve pas d’exemple similaire. C’est vraiment un exploit de niveau international et mondial, cela n’existe pas ailleurs.

 

Que pensez-vous du niveau général de la D1 ces dernières années ?

– Le championnat évolue de manière extrêmement précise. Si les équipes de Lyon et de Paris dominent toujours actuellement, je pense qu’il y a une évolution très nette au niveau des autres formations. Pour moi, Montpellier et Juvisy sont deux bonnes équipes, avec beaucoup de qualité. Il ne faut pas oublier que Juvisy est parvenu à se hisser en demi-finale de la Ligue des Champions en 2013. Elles ont également été capables de réaliser une belle performance face au PSG. Nous constatons également que les formations de milieu de tableau sont sur une pente ascendante. A l’heure actuelle, je suis convaincu que toutes les équipes peuvent, sur un match, battre l’OL ou Paris. Tous ces éléments font que la D1 féminine a beaucoup progressé ces dernières années, et pas uniquement les têtes de série. Il est aujourd’hui injuste d’affirmer qu’il existe un fossé entre les leaders et les autres équipes. Il y a un écart qui a été créé par la professionnalisation de certaines formations, mais des équipes comme Juvisy et Montpellier restent très proches, il ne faut pas l’oublier.

 

Concernant Montpellier, on a l’impression que cette équipe est de plus en plus performante au fil des années. C’est aussi votre avis ?

– Je pense pleins de bonnes choses de cette formation montpelliéraine. C’est une structure en devenir, mais il ne faut pas oublier que, si je me suis intéressé de plus près au football féminin il y a quelques années, c’est notamment parce qu’il y avait un certain Louis Nicollin qui avait une formation de grande qualité à Montpellier. Le démarrage et l’essor de cette discipline à Lyon s’est notamment fait par le recrutement de très bonnes joueuses du MHSC. Aujourd’hui, je trouve que le club est bien structuré, avec deux présidents (Laurent et Louis Nicollin) très impliqués dans le développement du pôle féminin. Ils étaient d’ailleurs présents et à mes côtés lors de la finale de la Coupe de France à Grenoble, ce qui témoigne de l’intérêt que portent les dirigeants sur l’évolution de leur équipe. D’une façon générale, je n’ai jamais vu les présidents et directeurs généraux du Paris Saint-Germain se déplacer pour des matches importants. Il y a une grande différence à ce niveau-là. A Montpellier, je trouve que l’organisation est très professionnelle, avec de bons dirigeants (préparateur physique, kiné, etc.). Montpellier bénéficie également des services d’un très bon entraîneur, Jean-Louis Saez. C’est quelqu’un de performant, d’intelligent, qui a une approche extrêmement intéressante. La manière dont il est parvenu à mettre l’OL en difficultés dans le vent grenoblois (lors de la finale de la Coupe de France remportée par Lyon, ndlr) était impressionnante.

 

 

<< Je n’ai jamais vu le président ou les directeurs généraux du PSG se déplacer sur les matches importants >>

 

 

La saison prochaine, l’Olympique de Marseille, Bordeaux, et Metz, trois entités adossées à de grands noms du football masculin, évolueront dans l’élite. Devra-t-on, à termes, aboutir à une totale professionnalisation de la discipline ?

– C’est inéluctable. Non seulement on doit le faire, mais on ne pourra pas faire autrement. L’évolution professionnelle est en marche dans les grands pays de football féminin. En Allemagne, le Bayern Munich est champion cette année, en Angleterre, les grands clubs ont créé des structures destinées à leurs équipes féminines respectives. Je me suis dernièrement rendu à Manchester City à l’occasion du match de Ligue des Champions masculine face au Paris Saint-Germain. J’ai pu me rendre compte des infrastructures mises à disposition des joueuses du club, c’est très impressionnant. Il y a une structure extrêmement performante. Cette année, nous avons également eu l’occasion de disputer un match face à l’Atlético Madrid en Espagne. Le PSG a joué contre Barcelone.

Toutes les équipes qui sont à l’arrivée des compétitions européennes masculines sont également en train de créer des sections féminines. C’est la grande chance du football féminin, j’en suis très heureux car je pense avoir participé, à ma manière, à l’émergence de la discipline au niveau européen. Par ailleurs, j’ai accepté d’être le porte-parole au niveau de l’ECA (European Club Association). Là aussi, le fait que cette ECA, qui était uniquement une association regroupant des clubs masculins au départ, ait désormais une section féminine à l’intérieur, contribue à dire que les lettres de noblesse des grands clubs professionnels passent par le football féminin. Vouloir ne pas aller dans ce sens-là pour le football français serait une erreur stratégique que Noël Le Graet (Président de la Fédération Française de Football) ne veut aujourd’hui pas connaître. Il y a donc des discussions pour que la LFP soit de plus en plus participante au championnat de première division féminine. La machine est en route.

 

De nombreuses joueuses affirment que la Ligue des Champions est « le » titre à obtenir dans une saison, et que cela apporte une dimension européenne à la discipline. Que représenterait un triplé avec une victoire contre Wolfsburg à Reggio Emilia* ?

– Cela serait géant ! On voit bien que, chez les garçons, le Paris Saint-Germain fait une saison fabuleuse, mais ils ne parviennent pas à gagner en Coupe d’Europe. Là, nous avons la possibilité de remporter tous les trophées. C’est toujours difficile de parler d’une potentielle victoire finale (*notre entretien avec Jean-Michel Aulas s’est déroulé deux jours avant la finale de Ligue des Champions remportée par l’Olympique Lyonnais face à Wolfsburg après une séance de tirs au but). Nous tombons face à une très bonne équipe, on ne peut pas imaginer mieux. Nous avons aujourd’hui la capacité de réaliser un triplé. Nous avons fait le plus dur en décrochant deux titres en championnat et en Coupe de France, je n’imagine pas un instant ne pas parvenir à ramener ce nouveau trophée à Lyon. Cela me fait penser au match disputé face à Monaco chez les garçons (6-1 le 7 mai dernier en Ligue 1), où nous ne pouvions pas nous permettre de perdre. Je pense que tout le monde est dans le bon état d’esprit et que tout devrait bien se passer. De plus, si j’ai bonne mémoire, Wolfsburg nous avait battus en finale alors que nous étions favoris. Aujourd’hui, c’est l’inverse, nous sommes les outsiders, et nous donnerons tout pour l’emporter. Par ailleurs, trois joueuses mythiques vont nous quitter (Amandine Henry, Louisa Necib, et Lotta Schelin). Je pense qu’il est fondamental de tout donner pour leur offrir ce dernier titre, qui aura une saveur bien particulière. Lorsque l’on quitte un club après y avoir passé de nombreuses années, il faut partir sur une note exceptionnelle. Cette finale de Ligue des Champions arrive à point nommé.

 

Depuis quelques semaines, on parle de l’arrivée probable de Gérard Houiller à Lyon. Comment le staff technique s’organisera-t-il la saison prochaine ?

– Tout d’abord, Gérard Prêcheur sera reconduit à la tête de l’équipe première du club. Par ailleurs, Gérard Houiller arrive avec beaucoup d’humilité. Il faut encore qu’il satisfasse à la dernière visite médicale qui aura lieu dans les prochains jours. Il arrive avec le périmètre que nous avons défini d’un manager sportif général. L’idée est de couvrir l’ensemble des activités sportives du club, et donc de l’équipe féminine. Gérard Houiller n’est pas un spécialiste du football féminin mais il a accepté, à ma demande, de s’occuper de cet aspect-là. Il peut apporter un véritable « plus » à cette formation. Il a de très bonnes relations au niveau de l’UEFA, et je pense qu’il va pouvoir donner son avis au niveau de l’élaboration du calendrier.

 

 

 « Gérard Houiller va reprendre une politique très ambitieuse »

 

 

Aujourd’hui, le calendrier européen est complètement obsolète concernant le football féminin. Je ne vois pas pourquoi, à partir du moment où on affirme que le football féminin doit être l’égal du football masculin, on ne prend pas les mêmes principes dans l’élaboration des calendriers. C’est un vrai manque de respect, il y a quelque chose à modifier à ce niveau-là. Gérard Houiller va jouer le rôle que je jouais en termes de supervision de l’équipe, de validation auprès de Gérard Prêcheur et de Marino Faccioli (qui restera, lui aussi en poste la saison prochaine, précise-t-il). Comme nous avons l’ouverture de notre académie féminine au mois de septembre, il va reprendre une politique très ambitieuse axée sur le développement du football féminin. Gérard Prêcheur aura la même autonomie qu’auparavant. Nous allons même embaucher un coordinateur sportif au niveau de l’équipe féminine, afin de continuer de professionnaliser et rendre plus cohérent tout ceci. >>

 

 

Entretien réalisé par Benjamin Roux

 

Crédits photos : Olweb, Maxppp

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