« Il faut obliger les chaînes TV à diffuser le sport féminin »

Directeur du think tank Sport et citoyenneté, Julian Jappert est engagé depuis des années pour la promotion du sport féminin. Il promeut le rôle des médias, de l’encadrement, et un « changement des comportements de société ». Interview.

 

 

 

 

 

Vous écrivez depuis des années des tribunes et essais pour « cesse(r) de marginaliser le sport féminin », où en est-on? La situation a-t-elle évolué ?

J.J. : « C’est une question compliquée car les sources réelles peuvent varier. Si l’on parle au niveau de la médiatisation, il y a des différences selon les pays et selon les chaînes payantes ou gratuites, mais on peut malgré cela parler d’une légère progression : les médias sont légèrement plus sensibilisés. Pour les autres sujets de développement du sport féminin, comme l’accès aux postes à responsabilités ou l’égalité salariale par exemple, on est dans quelque chose de difficilement quantifiable avec une avancée encore plus légère que dans le domaine de la médiatisation… malgré toute la communication qui laisse penser le contraire.

 

Ce frémissement est récent selon vous ?
– Trois ou quatre ans, même s’il ne faut pas tout marginaliser : avec les compétitions sportives internationales comme Roland-Garros ou les JO on a depuis longtemps une médiatisation du sport féminin, mais pas seul.

Vous dites que les diffusions sportives laissent de plus en plus une place aux femmes, avec de 7 à 15% de représentation entre septembre 2012 et septembre 2014, est-ce un chiffre encourageant ?
– Tout changement de société commence par un frémissement, donc oui c’est encourageant, mais c’est très loin d’être égalitaire.

 

Comment accélérer les choses ?
– Tout dépend des positions. Quand les comportements de société n’évoluent pas ou peu, je pense qu’il faut les imposer, ça fait partie des réglementations que l’on préconise à Sport et Citoyenneté. Par exemple, nous pensons qu’il faudrait obliger les chaînes en clair à diffuser des événements sportifs féminins par une directive européenne. Hors actuellement il n’y a pas ou peu d’événements féminins listés dans les directives.

 

W9 n’a pas eu besoin de ces obligations pour réaliser de bons scores d’audience pour la Coupe du Monde féminine de foot en juin…
– Je n’ai pas de réponse à cela… C’est le même problème des personnes qui ne veulent pas imposer de quotas pour les postes à responsabilité : si on l’impose il y aura forcément des femmes, sinon on peut croire que la société évoluera d’elle-même… J’aimerais qu’elle évolue d’elle-même, mais je ne sais pas si on est dans un courant pour aller vers plus d’égalité. Sur les quotas je ne sais pas, mais sur la médiatisation je pense qu’il faut pousser.

 

L’encadrement dans les clubs, et l’arbitrage, restent aussi très masculins, c’est aussi une de vos pistes d’évolution? Quand on voit le tapage autour de la nomination de la première femme entraineur en Ligue 1 masculine, Corine Diacre à Clermont-Ferrand…
– Peut-être que le football est pire que d’autres sports, nous sommes dans un univers machiste, on ne peut pas le nier donc évidemment l’encadrement et l’arbitrage sont la clef. Mais ce n’est pas en jouant une clef de temps en temps qu’on changera les choses, d’autant qu’avec des exemples au compte-gouttes, comme à Clermont, c’est plus dur car on demande toujours plus aux femmes, on ne les rate jamais.

 

Vous parlez de frémissement, mais toutes ces pistes on les entend depuis des années, voire plus, vous sentez-vous écoutés ?
– Oui. La société va vers plus d’égalité homme-femme et le sport ne restera pas un des derniers bastions du machisme de la société. C’est en cours, on va arriver à une obligation de diffusion du volley en clair à la télévision prochainement mais c’est complexe, ce sont des discussions entre l’État, les fédérations et le secteur privé. Mais, en matière réglementaire c’est l’État et les organismes institutionnels qui prennent les décisions, et eux nous entendent.

 

Vous semblez convaincu d’une évolution positive prochainement, mais quand ?
– Je parle à une échéance courte, moins de cinq ans.

 

Pourtant, parler d’événements féminins ne suffit pas, il faut s’attacher au traitement sportif, ce qui n’est pas toujours le cas…
– C’est vrai il y a une hypersexualisation des filles, mais je crois fermement dans les médias, et plus on verra de femmes à la télé, plus on aura un public homme et femme pour le sport féminin, et plus il y aura aussi une pratique du sport par les filles. Pour nous cette question de santé publique est aussi à mettre en avant. Il faut des idoles féminines qui auront de l’impact sur la société. On l’a vu avec Laure Manaudou, quand elle était au top de sa carrière de nombreuses petites filles se sont mises à la natation.

 

Des idoles féminines… Et l’engagement des hommes ?
– Le problème est que les hommes sont encore aux manettes. Donc oui il faut qu’ils s’engagent car ce sont encore eux qui prennent les décisions. La campagne He for She est un bon exemple, c’est impératif que les hommes s’engagent pour faire avancer l’égalité.

 

« Pour 70% des Français, le sport féminin est aussi intéressant que le sport masculin »

 

Vous parlez beaucoup du rôle des médias, mais les fédérations n’ont-elles pas aussi une responsabilité ?
– On est dans des mentalités de sport… En équitation on n’a pas besoin de faire des campagnes pour attirer les filles. À l’inverse, le rugby aura du mal à se féminiser largement même avec des campagnes massives. Les fédérations ont un rôle, mais ce n’est pas l’élément-dynamite. La dynamite ce sont la médiatisation et de créer des idoles féminines.

 

Le foot est le mauvais élève ?
– Non, mais le foot a un rôle plus important car c’est le sport le plus populaire. Des sports comme le tennis sont peut être plus en avance au niveau de l’égalité et de la pratique, mais le foot doit y arriver car il entrainera d’autres sports. On peut imaginer des échanges entre fédérations, une solidarité financière telle qu’elle a fonctionné pour les hommes quand les médias ont payé des droits de diffusion pour le foot en particulier que les vendeurs ont redistribué vers d’autres sports. Demain ça marchera pour le sport féminin.

 

Et pour la pratique amateur ?
– Les femmes pratiquent moins d’activité physique que les hommes pourtant il est prouvé qu’une activité régulière diminue certaines maladies, comme l’apparition du cancer du sein par exemple. Les conséquences sociétales sont très importantes, c’est aussi en mettant cela en avant qu’on fera évoluer les choses. Ce n’est pas juste plus joli de voir des filles faire du sport, c’est une vraie question de société et les décideurs commencent à en prendre conscience, il faut les pousser. »

 

 

Propos reccueillis par Lucie Tanneau

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