En Iran, le ballon de foot est (parfois) rond comme un boulet

Dans quel pays du Moyen-Orient le football en général, féminin en particulier, est-il plus populaire que tout autre sport ? Peut-être en Iran. Pourtant, le statut de footballeuse ou même de simple supportrice y relève de l’exploit et parfois même de la désobéissance civile. Explications.

 

 

 

 

En Iran comme ailleurs, le football se pratique dans quatre endroits bien précis : sur la pelouse, dans les gradins, dans les autres lieux publics et à la maison. Le premier lieu est celui de la pratique du sport lui-même et les trois autres lieux concernent le support, autrement dit l’activité de supporteur ou de supportrice.

 

Mais en Iran comme presque nulle part ailleurs, on ne peut être athlète ou spectateur que dans des conditions bien précises voire très restrictives. Les hommes peuvent jouer au football comme bon leur semble. Les femmes peuvent pratiquer le même sport à condition de porter une tenue acceptable aux yeux des autorités religieuses, donc sans short et avec un hijab adapté à la pratique sportive. Du côté des spectateurs, les hommes n’ont pas le droit d’assister sur place à des matches féminins et les femmes ne peuvent pas regarder des hommes jouer au foot dans un lieu public ou en direct.

 

Des pratiques restrictives

Donc pas de femmes dans les tribunes ? Pas tout à fait. La loi iranienne stipule que les femmes doivent porter le hijab dans tout lieu public – même pour faire du sport – et qu’elles ne peuvent pas assister à des rencontres sportives opposant des équipes masculines. Les femmes sont toutefois libres de jouer au football entre elles et devant un public exclusivement féminin.

 

Telle est, du moins, la théorie. Dans la pratique, les choses sont beaucoup plus complexes.

 

L’interdiction des femmes dans les gradins lors de rencontres sportives masculines n’a pas toujours existé en Iran. C’est seulement depuis l’arrivée au pouvoir de l’ayatollah Khomeiny, en 1979, que les Iraniennes ne peuvent plus assister à des matches de foot masculin. Le football est un sport roi en Iran, c’est donc à lui que la censure des Gardiens de la Révolution s’est intéressée en premier. Il aura fallu attendre 2012 pour qu’une interdiction similaire soit étendue au volley-ball puis à l’ensemble des disciplines sportives.

 

Un fan de football haut placé, mais impuissant

De nombreuses voix iraniennes ont pourtant plaidé – en vain – pour que les femmes soient admises dans les stades en même temps que les hommes. En 2006, un grand fan de football, le président iranien Mahmoud Ahmadinejad, n’a pas réussi à permettre aux femmes d’entrer dans les stades de football. La même année, le réalisateur iranien Jafar Panahi obtenait l’ours d’argent au festival du film de Berlin pour son long-métrage Hors Jeu (Offside) à travers lequel il dénonçait la discrimination à l’encontre des femmes, en particulier dans le football.

 

Le sujet vient de ressurgir, en septembre 2017, à l’occasion d’un match de foot masculin Iran-Syrie disputé dans le stade Azadi de Téhéran. De nombreuses Iraniennes avaient acheté un billet pour assister à la rencontre, mais elles ont été refoulées à l’entrée du stade sous prétexte que les billets leur avaient été vendus en raison d’un bug informatique.

 

Avantage(s) aux Syriennes

Le même jour, les supportrices syriennes étaient autorisées à pénétrer, même sans porter le hijab pourtant obligatoire, dans le stade Azadi – dont le nom signifie liberté en langue farsi, ce qui relève un peu de la farce.

Cette péripétie rappelle une autre affaire de discrimination, cette fois-ci en septembre 2015. Niloufar Ardalan, alias « Lady Goal », capitaine et meilleure joueuse de l’équipe nationale iranienne de football féminin, n’avait pu se rendre en Malaisie pour y participer au Championnat d’Asie de futsal, car son mari lui avait confisqué son passeport au motif que la joueuse devait accompagner leur fils à l’école pour la rentrée des classes.

 

Le mari de Niloufar Ardalan lui réitéra en 2015 son interdiction de se rendre à l’étranger, en l’occurrence à la Coupe du Monde de futsal au Guatemala. Mais cette fois-ci, la footballeuse a pu participer à la compétition après avoir obtenu gain de cause devant un tribunal iranien. En Iran, les femmes ne peuvent voyager à l’étranger que si leur mari ou un parent de sexe masculin les y autorise. La victoire judiciaire de Niloufar Ardalan atteste qu’il est possible de faire reculer la discrimination à l’encontre des femmes en général et en particulier dans un contexte footballistique.

 

Le réveil de la Fifa ?

Et les instances officielles, dans tout cela ? La Fifa et le CIO militent ostensiblement pour un traitement égalitaire et sans discrimination entre les hommes et les femmes dans la pratique sportive. En toute logique, la Fifa n’a donc rien fait pour appuyer Ahmadinejad dans sa lutte contre la discrimination des femmes dans les stades de football alors qu’il dirigeait son pays (2005-2013).

Une décennie plus tard, les hautes sphères de la Fifa commencent à prendre la mesure du phénomène et de ses enjeux. Après avoir disqualifié l’équipe nationale d’Iran au motif que les footballeuses portaient un voile interdit par le règlement, la Fifa tolère ce même voile depuis 2014. La fédé a ainsi entendu les arguments de Moya Dodd, membre influente de la Fifa et vice-présidente de la Confédération asiatique de football, pour qui interdire à une femme de pratiquer son sport revient à instaurer une double discrimination, celle de la femme et celle de l’athlète.

 

Une triple discrimination

Pourquoi les Syriennes sans hijab ont-elles pu voir le match Iran-Syrie au stade Azadi, alors que les Iraniennes n’ont pu le faire même en portant le voile ? Pas pour une raison de nature administrative, sinon les Syriennes n’auraient pas été admises dans le stade. Pas non plus pour une raison de nature religieuse, sinon les Syriennes non voilées n’auraient pas pu y entrer. La raison pour laquelle les Syriennes ont pu voir le match dans le stade tient précisément à leur nationalité syrienne. Une raison éminemment politique, puisque l’Iran demeure le principal allié de la Syrie dans la région.

 

Même au plus fort de la guerre civile en Syrie, l’Iran a toujours flatté le régime de Bachar el-Assad. Ce jeu de séduction réciproque ne devrait pas s’interrompre de sitôt, car l’Iran a plus que jamais besoin de compter sur ses alliés, cette fois-ci dans son soutien au Qatar face à l’embargo commercial que lui imposent l’Arabie saoudite et d’autres pays du Golfe. Autrement dit, le « tri sélectif » des supportrices risque de durer encore un peu en Iran.

 

De zéro footballeuse en 2005 à 4 000 filles ou femmes pratiquant le football en 2017. C’est peu dire qu’en Iran, le football féminin progresse à une vitesse qui serait encore plus considérable sans le poids de certaines mentalités. La méthode la plus sûre pour faire progresser le football féminin en Iran serait que l’équipe nationale iranienne de football féminin remporte des compétitions ou qu’elle se hisse dans les palmarès. Faut-il encore pour cela qu’elle soit admise à concourir.

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