Abby Wambach – des records, des souffrances, une légende

Parce qu’elles sont certes des athlètes, mais qu’elles sont aussi des femmes avant d’être des joueuses, qu’elles sont inspirantes et parce que leur engagement inspire autour d’elles : découvrez notre série sur les capitaines emblématiques et engagées, qui ont porté leur brassard pour leur club ou pour leur nation.

 

Ce mois-ci, Abby Wambach, de l’équipe nationale américaine, statistiquement la meilleure joueuse du monde, qui a inspiré une nation entière et poursuit sa carrière en s’engageant sur les fronts sociaux et l’égalité salariale.

5 juin 2015, BC Place, Vancouver

Le coup de sifflet final met un terme aux souffrances japonaises et consacre enfin les Américaines. Après plus de 15 ans de lutte acharnée, le trophée mondial est de retour sur le sol américain et le nom de Brandi Chastain vient d’un peu s’effacer au profit de cette génération que l’on appellera les 15ers. Si les yeux sont rivés sur Carli Lloyd, l’héroïne de la soirée, il y en a une autre pour qui cette victoire a un goût très particulier. Abby Wambach, l’enfant terrible de Rochester, New York. Ce trophée, c’est celui de sa carrière, celui qui manquait désespérément à son étagère pleine à craquer de ses différents sacres.

Elle a l’air un peu hagarde, Abby, la meilleure joueuse du monde – 184 buts marqués en sélection, c’est le plus grand record mondial, hommes et femmes confondus -, alors qu’elle se sépare du câlin collectif pour errer sur le terrain. Mais là, une main ferme, gantée, s’abat sur son avant-bras. Wambach se retourne et se retrouve face à Hope Solo, et son maillot couleur sang. Solo ouvre ses bras et lui crie dessus. Elle a l’air de lui dire « Ca y est, Abby. On l’a fait. ». Pour toutes les joueuses américaines, cette victoire est une revanche terrible sur la dernière Coupe du Monde, où les Yankees s’inclinent aux tirs au but face au Japon, ces mêmes Japonaises qu’elles ont terrassées 5-2 dans un match improbable. Mais pour Wambach et Solo, elle a un goût différent.

16 décembre 2015, Mercedes-Benz Superdome, Nouvelle-Orléans

La Chine de Bruno Bini exulte : elle vient de mettre un terme à la chevauchée fantastique et victorieuse des Stars and Stripes à domicile, avec un 1-0 qui aura surpris les 30 000 fans réunis au Mercedes-Benz Superdome, au cœur de la Louisiane. C’est un stade qui a la réputation d’être le plus bruyant des Etats-Unis. Et la Nouvelle-Orléans, avec son atmosphère unique, est probablement la ville la plus logique pour de tels adieux. Les médias américains occultent la défaite pour se précipiter vers Wambach, qui vient de délivrer un dernier discours, le couronnant d’un lâcher de micro à en faire pâlir un Barack Obama au sommet de sa gloire. La grande attaquante – Abby Wambach, en plus de son record, mesure 1m80 – sourit et fait signe à la caméra de sourire. « It’s okay », peut-on lire sur ses lèvres.

Leader

184 buts internationaux, c’est le record mondial, hommes et femmes confondus. Elle a surpassé sa compatriote, Mia Hamm, en 2013, dans un amical international contre la Corée du Sud, où elle se paye le luxe d’un hat-trick – ce record a également été battu par Christine Sinclair -. Mais plus qu’une machine à marquer, Abby était un leader au sein de l’équipe nationale américaine. C’est son leadership qui manque cruellement à l’équipe. Avant chaque match, c’est elle qui prend la parole pour galvaniser ses équipières, qu’elle soit sur le terrain ou sur le banc. Et parfois, elle s’emmêle dans ses mots, emportée par la passion. Quand la pression est à son paroxysme, elle apporte la sérénité à ses coéquipières, qui comprennent le message mais ne peuvent s’empêcher de rire, avec elle, face à ses débordements.

Wambach, c’est celle qui apporte l’espoir à ses équipières. Hope Solo en parle très bien dans ses mémoires, « A memoir of Hope », en décrivant précisément ce qui s’est passé pendant la Coupe du Monde 2011, contre les Brésiliennes, alors que tout semble perdu pour les Américaines, promises à la pire campagne mondiale de leur histoire, en plein quart de finale. Elles en sont au temps additionnel, après une bataille de 120 minutes, et le coup de sifflet qui mettra un terme à leur agonie américaine peut retentir à n’importe quel instant. 

Les Brésiliennes jouent contre la montre mais perdent la balle près des cages de Solo. Le score est à 2-1 en faveur des joueuses de Marta. Christie Pearce – peut-être plus connue par nos lecteurs comme Christie Rampone – passe la balle à Krieger, qui l’envoie à Carli Lloyd. Cette dernière bombarde vers Rapinoe, qui fonce sur l’aile. Wambach fait son appel de balle, mais Rapinoe ne la voit pas. Elle sait juste qu’Abby est là. Elle tire. Et Wambach marque de la tête et sauve son équipe, à la 122e minute de jeu. L’Histoire dira que grâce à cette séance de tirs au but remportée par les US, elles iront jusqu’en finale, pour perdre face aux Nadeshikos – elles prendront leur revanche en 2015 -. Et ce n’est qu’une anecdote parmi celles de la florissante carrière d’Abby Wambach, en sélection comme en club.

Femme

Des anecdotes, on pourrait en remplir un bouquin. C’est ce qui a failli être fait lors de la parution de « Forward », les mémoires de Wambach. Ce livre devait adopter le format de celui de Solo, « A Memoir of Hope » (2013, Harper Collins, mémoires compilées avec le concours de la journaliste Ann Killion), où la gardienne évoque sa relation avec l’USWNT et ses différents problèmes, qui ont construit sa carrière. C’était avant le drame : Abby Wambach se fait prendre en flagrant-délit de « DUI », en français conduite en état d’ébriété. Elle passe une nuit en cellule et l’événement fait les choux gras de la presse à scandales, en 2016. Il faut comprendre l’état d’esprit américain pour saisir toute la dimension scandaleuse de l’affaire : aux US, les athlètes sont des demi-dieux et les role-models qui ont une influence certaine sur la nouvelle génération, se doivent d’être blancs comme neige. Vie rêvée, pas un seul écart avec la justice – les problèmes de Solo font d’elle l’exemple parfait de la « White Trash », et c’est ainsi qu’elle est jugée par l’opinion publique US -, droit dans ses bottes comme dans ses performances. Ils sont adulés parce que ce sont des exemples. Hors, conduire en état d’ébriété et mettre en danger la vie d’autrui, c’est un manquement grave à la mission des héros américains.

Foudroyée en pleine retraite, Wambach reprend la plume et repart de zéro. Terminé le bouquin avec des anecdotes et les petites leçons de morales comme des fables que l’on donnerait en pâture à toutes les jeunes filles de l’Amérique. Place à la vérité. Sa vérité.
Celle d’une femme avant d’être une athlète. D’une personne qui a souffert et qui s’est battue, benjamine d’une famille de 7 enfants, au plein cœur de Rochester, New York. Qui a dû se battre pour se faire entendre, avec son physique encombrant. Puis, plus tard, se faire accepter : Abby Wambach découvre son homosexualité très jeune et sort du placard à la fac. Et si elle sait que cela fait partie intégrante de sa personne, qu’elle ne peut le nier, elle cherche amende auprès de sa famille, de ses amis, de ses équipières. Elle ne serait pas que ça. Elle montrerait qu’elle est digne d’être aimée et appréciée.

Vient alors, dans les lignes de sa biographie, l’aveu, terrible : « Un jour, ma future coéquipière, Mia Hamm, me dirait cela : « quelque part, enfouie profondément dans l’athlète que tu allais devenir, et au plus profond de ces heures d’entraînements et ces coaches qui t’ont poussé sans relâche, il y a cette petite fille qui est tombée amoureuse du football. ». Je n’ai jamais été et je ne serai jamais, cette petite fille. » Wambach a aimé être performante, elle a aimé pouvoir aider sa famille grâce au football et avoir une vraie plateforme grâce à laquelle elle a milité pour un futur plus brillant : « mon but était de laisser le football meilleur qu’au moment où j’ai commencé ma carrière », répète-t-elle, notamment au Forbes Summit en 2015. C’est ainsi qu’elle mène, avec d’autres joueuses américaines, une lutte acharnée contre les méfaits des terrains synthétiques, et qu’elle milite pour l’égalité des salaires. Quand elle ne se bat pas contre les clichés sexistes et LGBTphobes.

La vie de Wambach n’est pas une réussite constante. Elle préfère parler de ses addictions, à l’alcool, à la fête, puis à la drogue et aux médicaments, plutôt que ses plus grands succès. Abby Wambach est une femme, avec ses hauts et ses bas. Et c’est dans cette idée de l’inspiration, dans cette rédemption, mais aussi cette humilité, qu’elle apporte avec Forward une lumière de vérité. Parce que tout n’est pas beau, tout n’est pas réduit aux succès et à la défaite, mais aussi aux luttes et aux combats. Accro aux médocs, elle rappelle comme le sport l’a détruite physiquement. Comme chaque match devient une souffrance. Comme il est dur de voir son enveloppe corporelle baisser les armes quand elle a envie de plus.

Role Model

Comme cette fois, où, en juillet 2008, à la 32e minute d’un USA – Brésil juste avant de décoller pour les JO, elle se fait faucher sur le terrain par Andreia Rosa et reste sur la pelouse. Elle fait signe à Rampone qui accourt. Elle lui souffle « c’est une double fracture tibia-péroné, dis à Pia (Sundhage, la coach de l’époque, ndlr) de préparer une remplaçante ». L’ambulance arrive, elle est évacuée sur la civière et sort sous les applaudissements. Pas une seule seconde de souffrance sur son visage, juste un calcul très rapide des probabilités et des options possibles. Sur la civière, elle demande un téléphone. Elle fait le numéro de Lauren Cheney – Lauren Holiday, retraitée en 2015 –, qui n’a pas réussi à être appelée pour l’équipe olympique quelques semaines auparavant, et lui dit : « Cheney. J’espère que tu as bossé. Je suis blessée et s’ils me remplacent par une autre attaquante, ce sera toi. »

Cheney rigole et lui répond « Arrête, tu fais ta drama queen. Tu iras bien. Tu vas toujours bien.
– Je suis sérieuse. Je ne peux plus courir. Donc tu dois te remettre au travail, parce que tu vas aux JO.»

Elle raccroche. Et demande à voir sa mère.

Il faudra quatre heures de chirurgie pour que Wambach soit de retour sur pieds. Et quand les effets de la morphine s’estompent, elle prend son ordinateur et commence à rédiger une lettre à l’égard de ses équipières qui iront aux JO. Parce que déjà, en 2008, Abby était co-capitaine avec Rampone. Et que c’est le devoir d’un capitaine de soutenir ses troupes. A chaque équipière, une note personnalisée. En particulier pour Hope Solo, avec qui Wambach avait eu un terrible différend, précipitant la gardienne dans une de ses mauvaises phases.

Nous sommes en 2007, et Abby soutient Brianna Scurry dans les cages contre le Brésil pendant la Coupe du Monde, alors que Solo a joué tous les matches, parce que Scurry avait plus d’expérience. Le fait est que l’ancienne championne de 1999 passe complètement à côté de son match et Solo a une de ses plus célèbres sorties médiatiques en disant qu’elle aurait arrêté ses tirs. Cela lui vaut un boycott de l’équipe et un long statut de paria au sein de l’USWNT.

En 2008, Wambach a eu le temps de réfléchir. Alors elle s’excuse auprès d’Hope Solo et lui explique les raisons. L’Histoire montrera bien en 2011 que tout ceci est derrière elles.
Wambach ne s’arrête pas là dans l’inspiration. Elle s’occupe de différents camps d’entraînement à destination des jeunes filles, s’engage dans la visibilité LGBT. Dans sa dernière interview avant la finale de la World Cup, pour Fox Sports, elle reste seule, face caméra, pendant 7 minutes, où elle ne parle pas d’elle, ou si peu. Elle parle de l’équipe. Elle parle des supporters. Elle parle de la grandeur américaine. Elle parle de l’échec et à quel point il est important de se remettre en selle, peu importe les difficultés. L’esprit d’équipe, le respect. Elle est la meilleure joueuse du monde – récompensée en 2012 par un FIFA Women’s Player of the Year – et pourtant, elle ne parle pas d’elle mais de l’équipe.
Deux jours plus tard, elle se précipitait dans les bras de sa femme à l’époque, Sarah Huffman, pour l’embrasser et célébrer, devant les médias du monde entier, son titre de championne du monde, celui qui manquait désespérément à son étagère croulante de trophées.

A son dernier match, je participe à l’entraînement ouvert, la veille. Il y a là des petits garçons, peut-être 7, 8 ans. Je leur demande qui est leur joueur préféré. Je m’attendais à une réponse comme Ronaldo, Beckham, Messi… Ils n’hésitent pas : « Abby Wambach », répondent-ils avec un grand sourire édenté. Voilà l’impact de la joueuse. De la capitaine. De la légende.

« Oubliez-moi »

On pourrait encore parler longtemps d’Abby – cela fait déjà quatre pages – tant il y a à dire. Mais ce ne serait pas ce qu’elle voudrait. Depuis 2016, elle est restée discrète, tout en soutenant des causes, notamment d’une jeune fille qui a été disqualifiée d’un tournoi parce qu’elle était une fille, avec Mia Hamm, ou en se rendant à des conférences. Et surtout, en 2015, elle mène une campagne coup de poing avec Gatorade. Qui est la meilleure illustration de son état d’esprit et son humilité : ne jamais parler d’elle, mais parler de la grandeur du sport et de ce que les filles peuvent achever.

“Oubliez-moi. Oubliez mon numéro. Oubliez les médailles remportées, les records battus. Oubliez mon nom. Oubliez que j’ai existé.”

Et en parallèle, Abby a disparu des réseaux sociaux. Fait hautement symbolique, même s’il a été seulement limité dans le temps.

“Je veux laisser un héritage où la balle continue à aller de l’avant. Avec la prochaine génération, qui accomplira des choses si grandes que je ne serai même plus dans le tableau. Alors, oubliez-moi. Parce que le jour où vous m’aurez tous oubliée, sera le jour où nous aurons réussi.”

Alors oui, c’est un coup de communication avec Gatorade. Mais y a-t-il meilleure personne qu’Abby Wambach pour véhiculer un tel message ?

Crédits photos : Dennis Grombkowski/Getty Images, AP, Women’s Soccer France

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