« On a passé l’effet de surprise sur le sport féminin. Pour avancer, il faut changer de méthode »

Ex-directeur général d’Eurosport puis vice-président sport pour l’Europe de Discovery (propriétaire d’Eurosport depuis 2015), Arnaud Simon lance sa boîte de consulting dans le sport. Il prône un nouveau modèle, porteur de sens, pour développer le sport féminin et son public.

 

Vous prenez de plus en plus la parole sur le sport féminin, et l’égalité homme/femme, pourquoi ?

Arnaud Simon : «  Il y a deux choses. Une conviction personnelle, d’abord : qu’une société paritaire et plus égalitaire est plus forte, plus équilibrée et probablement moins violente. Et une conviction professionnelle, et les faits sont là, qui est que les entreprises qui se développent dans plus de mixité, jusqu’au Codir, sont plus performantes car elles ont un regard croisé entre les hommes et les femmes qui ont une intelligence aigüe et un regard différent sur les choses.

J’ai essayé de mettre en place ce principe dans mon parcours en créant le premier talk show consacré au foot féminin, « Femmes 2 foot », et en féminisant les équipes de journalistes ou en recrutant des consultantes. Je suis ravi d’avoir mis le pied à l’étrier à Carine Galli ou Laurie Tilleman, qui explosent aujourd’hui, et ravi de voir aussi que Clémentine Sarlat, Candice Prévost, Amélie Mauresmo aussi, ont toutes leur place aujourd’hui. Mais on est encore loin de la parité.

 

La parité justement, pour vous, ça veut dire quoi ?
Ce n’est pas l’équilibre parfait du nombre d’hommes et de femmes, c’est l’équilibre d’influence et la complémentarité de regard. C’est une forme de représentativité fidèle à la société dans tous les organes de l’entreprise.

 

Comme y arrive-t-on, et les médias ont-ils un rôle à jouer ?
C’est un long processus. Je pensais d’ailleurs que les choses iraient plus vite à travers le sport, mais il faut accepter que ça prenne du temps et mobiliser l’ensemble des parties prenantes. Les médias seuls, ne seront pas la solution. Ils peuvent mettre un coup de projecteur, assumer un côté rôle-modèle en féminisant les Codir, en offrant une visibilité au sport féminin mais ça ne suffira pas. Susanna Dinnage, qui vient d’être élue à la tête de la Première ligue anglaise m’avait un jour inspiré en me disant qu’il fallait être disruptif, c’est à dire être le premier, le plus grand, ou différent.
Les médias traditionnels, gratuits, en particulier restent à la surface. Les matches gratuits en prime time, c’est très bien et les chaînes capitalisent sur ces événements, mais c’est bien différent du travail de fond.

 

« La D1 féminine n’a pas le niveau et le spectacle pour proposer tous les matches en direct. »

 

 

Que conseillez-vous, alors même que les entreprises attendent un retour sur investissement ?
Clairement il y a un côté tendance sur le sport féminin. Donc la visibilité offerte par de grandes marques c’est très bien, mais il y a peu d’investissement, hormis des sociétés comme la FDJ. Je l’ai vécu : quand on créé un talk show sur le sport féminin, tout le monde applaudit, mais les partenaires ne sont pas là ! Pourquoi ? Car il n’y a pas d’impact.
Aujourd’hui, si on se tourne vers le sport féminin, il faut réfléchir à long terme, et ce n’est pas facile. Je pense qu’il faut arrêter de copier le modèle qui a fonctionné pour le sport masculin mais qui ne rapporte plus. La façon de consommer le sport à la télé change : moins de directs et plus d’histoire. Ce n’est pas la diffusion des matches de D1 féminine qui va inverser la tendance !
Ce qu’il faut, je crois, c’est raconter des histoires, inventer de nouveaux formats. Par exemple, on a suivi avec Eurosport la skieuse Lindsey Vonn pendant deux ans.
Il faut arrêter avec les vieilles recettes, la D1 féminine n’a pas le niveau et le spectacle pour proposer tous les matches en direct. Cela peut être déceptif. Par contre mettre le paquet sur PSG-OL, oui !

 

Le sport est-il selon vous un moyen de changer la société ?
Le sport est une caisse de résonance de la société. Il y a des exemples dans l’histoire, avec Billie Jean King qui a aidé à faire accepter une sexualité différente, des noirs américains au JO de Mexico en 1968… Pour la cause féminine, et vers une société plus égalitaire et paritaire, le sport permet de faire passer des messages d’une manière plus légère. Il peut jouer un rôle de locomotive. Ma modeste contribution a été d’augmenter sa visibilité, notamment en rugby et foot.

 

D’où vous viennent ces convictions, et à quel moment avez-vous eu cette prise de conscience ?
J’ai réalisé ces éléments alors que je me suis moi-même heurté à ces problèmes. Sauf qu’à cette époque, on était encore dans la phase de curiosité. Aujourd’hui alors que la consommation de directs baisse, comment voulez-vous que le sport féminin corrige la tendance ? Il doit réfléchir à ses valeurs, ses différences et capitaliser. L’authenticité, l’anti bling-bling, la proximité… On doit travailler là-dessus.

 

Etes-vous inspiré par des personnes qui font déjà ce travail ?
Dans le sport féminin pas tant que ça. On répète beaucoup les mêmes méthodes, et on se trompe. Par exemple, pour les profils des joueuses on a dupliqué la photo de présentation, de trois-quart, avec les bras croisés, pourquoi ? Il faut créer des nouvelles façons de raconter l’histoire, changer de méthodes. Le sport féminin est une tendance et une promesse de business à condition de faire du story-telling. Il faut aussi créer de nouveaux écosystèmes de contenus. Car le sport féminin n’est pas qu’une tendance racontée dans les magazines, il se développe à travers de nouvelles pratiques type futsal, running, basket 3×3… Il faut accompagner ce changement avec des nouveaux contenus, de nouveaux médias et de nouveaux services (pour indiquer les lieux, les équipements, les clubs…).
Il faut trouver sa propre identité et couper le cordon avec le sport masculin ! »


Propos recueillis par Lucie Tanneau

Crédits Photos @Twitter / Eurosport

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