Un constat unanime est tiré de la dernière Coupe du monde en France : le football féminin est en pleine expansion. Les autres pays européens sont-ils également poussés par cet élan ? Exemple avec le Fortuna Hjørring, un des plus grands clubs danois.
Hjørring. Au nord du Danemark. Près de Hirtshals, d’où partent les ferries pour Kristiansand, Norvège. Commune du Jutland, environ 66 000 habitants. Copenhague est à plus de 400 kilomètres au Sud Est. Hjørring, une place forte du football féminin. Une histoire qui commence en 1966, lorsque les épouses des footballeurs du Hjørring Frems (les amis de Hjørring) décident de créer leur propre équipe de football féminin. Aussitôt dit aussitôt fait. C’est une spécialité danoise. N’importe qui peut créer une association, sans soumettre un quelconque dossier administratif, à partir du moment où le but de l’association est légal. Ce qui explique pourquoi autant d’associations, de clubs, d’amicales existent dans cette péninsule scandinave.

Crédit Photo : Fortuna Hjørring
D’une équipe d’épouses, à une équipe de championnes
Le Fortuna Hjørring est un grand nom du football féminin au Danemark. De cette première équipe composée d’épouses, est resté l’esprit de solidarité, le sentiment d’appartenance au club, une marque identitaire forte qui a axé le développement de la pratique du football exclusivement à destination des jeunes filles. Comme Soyaux, ou Juvisy en France. Le Fortuna Hjørring est aujourd’hui avant tout un lieu où de nombreuses femmes pratiquent le football en amateur, pour le plaisir, grâce à des infrastructures de qualité, mises à leur disposition.
Cet esprit-là a permis à l’équipe première d’écrire l’histoire du football féminin danois. Dix championnats remportés (le dernier en 2018, vices championnes en 2019), dans le sillage de Brøndby IF, les grandes rivales de Copenhague (douze fois championnes du Danemark). Mais également huit Coupe du Danemark (1995 – 1996 – 2000 – 2001 – 2002 – 2005 – 2008 – 2016), et deux Championnat nordiques (1995 et 1996) avant que celui-ci ne soit supprimé en 2002 pour cause de création de Ligue des championnes, à laquelle les filles du Jutland participent assidument chaque saison.
C’est précisément sur la scène européenne que les filles du Fortuna Hjørring entrent pleinement dans notre champ footballistique hexagonal. Les Vert et Blanc ont croisé la route de l’Olympique Lyonnais l’automne dernier, en huitièmes de finale de la Ligue des Championnes. D’accord c’est Lyon. D’accord c’est la Ligue des Championnes. Il n’empêche qu’elles ont traversé de sales moments, s’inclinant 4-0 au match aller sur leur pelouse (16 octobre 2019) et 7-0 en terres lyonnaises (30 octobre 2019).
On a l’habitude, en Ligue des championnes comme en championnat, de scores fleuves. On pourrait néanmoins espérer un écart moins net entre le premier club d’Europe l’Olympique Lyonnais, et le dixième Fortuna Hjørring, premier club danois, devant Brøndby IF (11ème), selon le classement des clubs UEFA. Sur la planète football féminin, le Danemark, ce n’est pas le Kazakhstan.
Un projet centré sur la jeunesse
Nicolai Leth Klinge, directeur général de Fortuna Hjørring constate : « Le football féminin suscite un intérêt croissant. Les transferts de joueuses sont de plus en plus élevés ». On en a connu, en France aussi, des clubs pionniers, qui ont peu à peu été rayés de la carte, lorsque le niveau s’est élevé : VGA Saint Maur, AS Etroeungt, ou Reims, qui a sombré avant de revenir, années après années au plus haut niveau, et retrouver la première division cette saison. Une exception.
Nicolai Leth Klinge encore : « Il va devenir de plus en plus difficile de rester à ce niveau. Nous devons jouer sur nos atouts ».
Les atouts de Fortuna Hjørring c’est sa renommée et c’est son pari, très tôt de la jeunesse. C’est à Hjørring qu’est née en 1982 l’idée de la Dana Cup, cette grande compétition de football pour les jeunes.

Crédit Photo : Fortuna Hjørring.
Chaque été, des milliers de jeunes footballers et footballeuses débarquent, parfois avec leurs parents, en terres danoises pour un grand tournoi. Cet événement génère des revenus importants qui permettent au Fortuna Hjørring d’investir dans des infrastructures et un encadrement de haut niveau.
De même, en 2017 a été créée la Dana Cup Akademi, une école de football d’excellence qui attire des jeunes Danoises et jeunes Scandinaves dont les meilleures pourront espérer rejoindre les rangs de l’équipe première du Fortuna Hjørring.
Pour Nicolas Leth Klinge, « il est important que les jeunes filles sachent que ce qu’elles vont trouver chez nous n’existe pas ailleurs ». Ces jeunes footballeuses sont soignées, elles vivent à proximité des terrains, peuvent suivre les entraînements ainsi que les cours. « Il nous faut être attractifs. Hjørring, ce n’est pas Copenhague. La formation que nous offrons doit être la meilleure ».

Crédit Photo : Fortuna Hjørring
Une question de moyens
Le pari de la jeunesse. Les filles de l’équipe 1 du Fortuna Hjørring sont jeunes, très jeunes. La plupart d’entre elles n’ont pas plus de 23 ans. Un club comme le Fortuna Hjørring n’a pas les moyens d’acheter des joueuses chères, comme le Paris Saint-Germain ou Wolfsburg. Pas de soutien non plus d’une structure masculine comme le Brøndby IF. Il n’y a pas d’autre salut que de repérer des pépites, les polir, les lancer tôt dans le grand bain du championnat et de la Ligue des championnes, en espérant qu’elles irradient la rétine d’un de ces grands club, Manchester City, l’Olympique Lyonnais, le FC Barcelone,… et être en mesure d’effectuer un transfert intéressant. Et cela fonctionne. Certaines, comme Sara Thrige (23 ans), Emma Snerle (18 ans), ou Sara Holmgaard (20 ans) sont déjà sélectionnées en équipe nationale.

Crédit Photo : DBU
Il faut des moyens, plus de moyens. La Dansk Bol Spill Union (DBU), fédération danoise, en donne, pour développer les clubs, il en faut davantage. Aujourd’hui, les joueuses du Fortuna Hjørring ont toutes signé un contrat professionnel mais qui n’est pas à temps plein. Il faudrait pour cela davantage de ressources. Lorsqu’elles ne jouent pas au football, les jeunes joueuses suivent des études. Cela se rapproche du « double projet » mis en place en France par le FC Juvisy notamment. Les écarts de conditions, de rémunération entre footballeuses et footballeurs, au Danemark comme ailleurs, sont toujours béants. En 2017, les Danoises avaient fait grève, conduisant à l’annulation d’un match face à la Suède, afin d’obtenir une revalorisation salariale (elles touchaient environ 1500 euros). Cela avait fonctionné. Cela ne suffira pas à permettre aux clubs danois de rester dans le gratin footballistique européen. Le mouvement est sans retour : les joueuses sont des athlètes de très haut niveau, complètement dédiées au football dont c’est la profession.
Le Danemark est une terre historique du football féminin. En 1971, le monde découvrait cette équipe, sacrée à Mexico devant 110 000 personnes au Stade Aztec, lorsque la Coupe du Monde officieuse, remportée face au Mexique (3-0). En 2017, les Danoises se hissaient en finale de l’Euro, et perdaient contre les Néerlandaises de Shanice Van de Sanden, Lieke Mertens et autres. En 2019, pas de Coupe du monde, pas qualifiées. Le modèle danois est à inventer, réinventer peut-être, pour permettre aux clubs comme le Fortuna Hjørring de survivre dans cette compétition darwinienne qui caractérise désormais le football féminin.