Philippe Liotard, sociologue à Lyon-1 et membre du Laboratoire sur les vulnérabilités et l’innovation dans le sport (L-Vis) travaille depuis de nombreuses années sur les questions d’égalité et de genres dans le milieu sportif. Avec ses étudiants, il a lancé un programme de recherche sur les violences sexuelles, qui pourrait aboutir à un kit de sensibilisation, à mettre entre toutes les
mains.
Vous lancez un travail avec des étudiants sur les violences sexuelles dans le sport, en quoi ces recherches vont-elles consister ?
Philippe Liotard : » Dans le cadre du Master Égalité dans et par les Activités Physiques et Sportives, créé à Lyon 1 avec Cécile Ottogalli et Aurélie Epron, nous formons des jeunes qui interviendrons dans le milieu sportif sur les questions d’égalité, de genres, de violences sexistes et sexuelles.
Pendant mon cour intitulé Sport, genres et vulnérabilité, vous abordons des aspects de violences et cette année, cette thématique s’est retrouvée en prise avec l’actualité et les étudiants ont décidé de se saisir du sujet.
Nous avons donc lancé un travail de recueil de faits, et de données dans la littérature et la production scientifique internationale car notre travail est d’abord un travail de formation. Puis les étudiants se sont retrouvés en dehors des cours pour aller plus loin.
Dans quel but ?
On travaille à établir un document de synthèse que je pourrais présenter au Ministère des sports. Nous ne savons pas s’il s’agira d’un livre, d’un kit de sensibilisation pédagogique ou d’un support autre qui serait le meilleur pour la diffusion de nos recherches. Il y a de quoi faire une thèse sur le sujet, mais le problème est qu’une thèse doit être financée, et cela ne dépend pas de moi…
En quoi le milieu du sport est-il plus vulnérable qu’un autre face aux violences sexuelles ?
Les étudiants ont travaillé rapidement, et le 21 février dernier, j’ai déjà pu présenter quelques données lors de la première Convention nationale de prévention des violences sexuelles dans le sport, au siège du Comité National Olympique et Sportif Français (CNOSF), organisée à l’initiative de la Ministre des Sports Roxana Maracineanu.
Je ne sais pas s’il est plus vulnérable, car il n’existe pas de données comparatives entre le sport, l’église, l’école, l’entreprise… Mais il comporte des spécificités -que l’on retrouve ailleurs pour certaines, et que l’on a vu dès décembre avec l’enquête Disclose (violences sexuelles dans le sport), en janvier avec la révélation de l’Affaire Matzneff et la publication du livre de Vanessa Springora (dans le milieu de l’édition), avec le procès du Père Preynat à Lyon (dans l’église).
Si je compare, je vois dans chacun des mécanismes d’emprise, avec une séduction par une autorité symbolique. A chaque fois il y a une forme de reconnaissance par l’enfant de l’importance symbolique de l’agresseur.
Dans le sport, cette qualité de l’entraîneur est reconnu par l’enfant et l’entraîneur à la capacité, désirée par l’enfant, de modifier son corps, pour obtenir des résultats. Ce projet est partagé par l’enfant, ses parents, l’entraîneur… Donc l’entraîneur compte beaucoup. Dans le cas de Sarah Abitbol, Gilles Beyer a pris la place de l’entraîneur.
Souvent l’enfant a un grand engagement affectif vis-à-vis de la personne qui va devenir son agresseur, ce qui rend plus compliquée encore la prise de parole après.
En outre dans le sport on trouve en plus une grande proximité physique et spatiale, avec des espaces clos accessibles facilement (vestiaires, parking, transport, hôtel, lieux de stockage…), plus encore que dans d’autres milieux.
Il y a aussi un temps qui peut s’étirer, et quand un entraîneur dit « je garde la petite une demi-heure de plus et je la ramènerai à la maison », cela paraît très positif…
Comment sensibiliser les acteurs pour plus de vigilance, et d’actions ?
En parler. En fait, c’est assez simple. J’interviens sur cette question chaque année auprès de mes étudiants qui sont sensibilisés au sujet, ou auprès de cadres fédéraux. Pour tous, les résultats sont très rapides. Aborder cette question, à laquelle la plupart des gens n’ont jamais réfléchi, suffit à déclencher des rapprochements avec des situations vécues, et à élever le niveau de vigilance.
L’enjeu est là : parler permet de réfléchir à la façon dont chacun se comporte avec tous, à sensibiliser parents, entraîneur, éducateurs aux indices discrets. Si une petite à des craintes avant d’aller au sport, pourquoi dire « serre les dents, ça va passer ? »… Il faut savoir écouter et réfléchir au prix des rêves de réussite : même si l’investissement des parents peut-être important (en temps ou financièrement) dans ce projet sportif, il ne doit pas aveugler.
Même à un niveau départemental, quand on fait du sport pour le bien-être, un enfant qui a des symptômes de souffrance doit alerter : son entourage doit être réceptif aux signes.
La Ministre des sport Roxana Maracineanu lors de la Convention de prévention des violences sexuelles dans le sport.
@Ministère des sports
Comment allez vous poursuivre votre enquête, et quand vos recherchent aboutiront-elles ?
On y travaille ! Le ministère des Sports est intéressé par nos travaux et nous devrions lui présenter quelque chose en mai lors de la deuxième réunion de la Convention.
Après, autour du 25 novembre, Journée mondiale des violences faites aux femmes, nous organiserons un colloque à Lyon sur le thème des violences dans le sport. Nous réfléchissons à une conférence mais aussi à des ateliers à destination des professionnels.
Que peut-on attendre des ces différents travaux ?
Ma volonté en tant que chercheur est de mieux comprendre les mécanismes des agressions pour les décrire, les communiquer et que des personnes puissent se servir de ce travail sociologique pour imaginer un kit de sensibilisation, et des outils selon les sports et les âges des pratiquants.
En 2008, le plan imaginé par la Ministre Roselyne Bachelot avait abouti a un document de sensibilisation mais il était très formel, très français !
Au Québec, il existe des outils avec des listes de bonnes pratiques -comme frapper avant d’entrer dans les vestiaires, prévenir si un entraineur s’isole avec une athlète pour échanger quelques minutes, laisser les portes des espaces ouvertes-, et d’analyses de situations concrètes.
A l’époque, en France on était frileux à donner des conseils qui pourraient apparaître comme des directives. Aujourd’hui, la situation est peut-être différente.
Justement, le moment est-il propice ou la médiatisation des violences dénoncées dans différentes fédérations peut-elle nuire à un travail serein et efficace ?
Le moment est très propice ! Je vois depuis la Convention de février les réactions des Fédérations, des personnes qui veulent bouger… La plupart des présidents de Fédérations étaient là et ceux qui n’y étaient pas se sont fait tirer les oreilles par la Ministre !
L’enjeux est de les aider à se structurer sur le sujet : on forme des gens pour les accompagner. Pour l’instant, elles ne savent pas comment agir, il font intervenir des associations comme Le Colosse aux pieds d’agile pendant deux heures mais elles manquent d’outils sur les aspects plus durables.
La question maintenant est de savoir de quels moyens l’on se dote.
Le Ministère dit qu’il faut plus d’Etat dans les fédérations, c’est à dire plus de conseillers techniques et sportifs, qui pourraient former les cadres aux questions des violences sexuelles… mais leur nombre est annoncé en baisse par le gouvernement. Il y a une contradiction politique à lever. «
Propos recueillis par Lucie Tanneau pour Foot d’Elles