Menstruations et conséquences

Le club de Chelsea systématise l’étude individuelle du cycle menstruel des joueuses depuis le début de la saison 2019-2020. Objectif : adapter les entraînements et les régimes alimentaires à chaque footballeuse, afin d’optimiser les performances et de provoquer moins de blessures évitables. Il s’agit là d’une première mondiale dans l’univers du football en club. Malgré des prises de conscience ici ou , comment et pourquoi n’avait-on pas encore pris en compte l’incidence des règles sur la performance sportive des footballeuses ?

Cyclique, forcément cyclique

Le vocabulaire du football est parfois trompeur. Certes, un match de foot s’appuie sur des règles et se joue en deux mi-temps, c’est-à-dire en deux périodes d’égale durée. Mais dans le football au féminin, les règles et les périodes, autrement dit les menstruations et le cycle menstruel, ont une tout autre signification.

« T’as tes règles ou quoi ?! » Au-delà de sa misogynie et de sa beaufitude, un tel propos suggère que les menstruations ont un réel impact sur la performance sportive. Non seulement pendant les matches, mais aussi lors des entraînements et, en dehors du terrain, pendant les phases de préparation et de récupération.

On ne fera pas ici un cours de physiologie ou de médecine sportive. Rappelons néanmoins que, sauf cas pathologiques de règles douloureuses, ce ne sont pas les règles elles-mêmes qui perturbent l’harmonie de l’entraînement, du match ou de l’acte sportif.

Intéressons-nous plutôt à la section féminine du club londonien de Chelsea, alias Chelsea Football Club Women, deuxième de Super League (l’équivalent féminin de la Premier League) avant le déclenchement des mesures de confinement un peu partout en Europe.

Chelsea, ou l’innovation par Emma Hayes

En 2016, tandis que les Blues de Chelsea se faisaient manger par les Gunners d’Arsenal en finale de la Cup, Emma Hayes se demandait si ses joueuses n’étaient pas toutes en même temps dans la mauvaise phase de leur cycle menstruel. L’entraîneuse de Chelsea a voulu en avoir le cœur net et s’est rapprochée il y a un an de Georgie Bruinvels, une physiologiste et internationale de cross-country, qui a conçu FitrWoman. Il s’agit là d’une appli permettant à chaque athlète d’indiquer les paramètres et les symptômes relatifs à sa santé menstruelle afin d’obtenir un suivi et d’éventuels conseils personnalisés.

Emma Hayes a vite jonglé de l’appli au terrain de foot, et de la théorie à la pratique. Elle a invité les joueuses à télécharger et renseigner l’appli afin que son équipe technique puisse élaborer des programmes d’entraînement personnalisés – le tout d’une manière facultative et avec l’accord préalable de chaque footballeuse.

La préparation physique tient maintenant compte des phases ovulaires de chaque équipière, afin de s’adapter aux prises/pertes de poids en fonction des quatre phases du cycle menstruel, mais aussi d’éviter des inflammations bénignes des tissus mous ou des blessures aussi graves qu’une lésion ou une rupture du ligament croisé antérieur. L’entraînement et les apports nutritionnels sont adaptés en fonction de chaque athlète. Tout le monde a vite compris qu’il ne s’agissait pas d’une lubie ou d’une mode saugrenue, mais d’un nouveau mode de coaching qui consiste à prendre la footballeuse pour ce qu’elle est : une femme.

Diffusion des bonnes pratiques

Avant même le démarrage de la saison 2019-2020 en Angleterre, l’équipe nationale américaine avait elle aussi mis en place un programme de suivi menstruel individualisé, dans le cadre de la Coupe du monde de football 2019. Bien leur en a pris, puisqu’elles ont remporté la compétition. L’histoire ne précise pas quelle stratégie elles ont mise en place afin que les onze titulaires et les remplaçantes évoluent à leur meilleur niveau le jour J.

Selon un article de Tara Britton paru fin février dans L’Équipe, le sélectionneur anglais Phil Neville comptait préparer la SheBelieves Cup 2020 – où l’Angleterre a finalement terminé en troisième et avant-dernière position – en analysant les cycles menstruels des joueuses. Le même article signale que le préparateur physique de la section féminine de l’AS Saint-Étienne consacre sa thèse à l’impact du cycle menstruel sur la performance physique. Une rumeur, non confirmée par le club, suggère aussi que la section féminine de l’Olympique lyonnais s’intéresserait activement au sujet.

Mais pourquoi un tel retard ?

La prise en compte inexistante ou très tardive des cycles menstruels dans le sport de haut niveau trouve son origine dans une cascade de responsabilités, notamment dans la société en général, chez les footballeuses elles-mêmes et dans l’encadrement sportif.

Évoquer les menstruations ? Qu’il s’agisse de son propre cycle, de celui d’une coéquipière, d’une footballeuse que l’on entraîne ou encore d’une simple discussion sur le sujet, tout cela relève d’un quasi-tabou, au moins en France. Si les gens n’hésitent pas à s’épancher sur leurs petits bobos du quotidien, ils ont tendance à juger malséant de parler menstrues, hémorroïdes, incontinence urinaire ou anale, etc.

Le système éducatif se révèle à peine moins pincé. Tout juste explique-t-on, sans entrer dans les détails (jeu de mots involontaire) et avec l’appui de vague croquis, en quoi le cycle menstruel est parfaitement naturel et quelles en sont les possibles pathologies.

C’est dire que beaucoup d’athlètes ne savent elles-mêmes pas grand-chose sur leurs propres menstruations. Dans la partie visible du cycle, c’est-à-dire pendant les règles, l’estime de soi peut en prend un sacré coup. Et quand on sait à quel point l’estime de soi peut alimenter – ou détruire – la performance sportive, on s’étonne qu’aucune recherche scientifique d’envergure n’ait encore été consacrée aux menstruations dans le sport de haut niveau.

À la méconnaissance par les joueuses de leur propre cycle menstruel s’ajoute une méconnaissance similaire parmi le staff technique. Méconnaissance ou volonté délibérée ou pudeur, selon les cas. On imagine mal le très élégant et délicat Phil Neville demander lui-même à chaque joueuse où elle en est dans son cycle menstruel. Il n’est pas impossible, imagine-t-on, que la « gestion » sportive du cycle menstruel puisse être entravée par certains refus de communiquer des informations intimes à une personne du sexe opposé. Quoi qu’il en soit, le simple paramètre menstruel atteste que la footballeuse n’est pas un footballeur en modèle réduit et que le corps d’une sportive ne se « gère » pas comme celui d’un sportif.

Les ligues professionnelles et les instances fédérales ont sans doute, ne serait-ce que par leur inaction en la matière, une part de responsabilité. La simple publication de brochures, de recommandations, de préceptes, tout cela présuppose que l’on ait conscience du phénomène et de ses enjeux.

La même remarque s’applique, en club ou en sélection nationale, aux coaches et aux sélectionneurs. Dans les équipes masculines, les entraîneurs et les sélectionneurs sont presque toujours d’anciens footballeurs de haut niveau. Ils savent que l’on peut prévenir/guérir tel type de bobo en prenant tel type de précaution/médication. Logique : ils le savent d’expérience, pour l’avoir eux-mêmes vécu. Mais combien d’anciens footballeurs, devenus entraîneurs ou sélectionneurs, savent d’expérience comment une femme vit un cycle menstruel, ce qu’elle ressent, pourquoi et comment elle doit adapter son entraînement et son alimentation, à quel moment elle sera le plus/moins performante ?

Briser le plafond de verre

Aucun homme, quelles que soient ses qualités et ses compétences d’entraîneur ou de sélectionneur, ne peut prétendre à plus de finesse ou de pertinence qu’une femme dans la compréhension et dans la gestion du cycle menstruel. On obtiendrait sans nul doute une meilleure prise en compte globale d’un élément parasportif aussi déterminant si, au lieu d’une écrasante majorité d’entraîneurs et de sélectionneurs, les sections féminines des clubs et des équipes nationales étaient dirigées un peu plus souvent par des femmes.

Un simple rééquilibrage de genre – disons, 50 % d’entraîneuses et de sélectionneuses pour 50 % d’entraîneurs et de sélectionneurs – y contribuerait probablement. Même chose dans les instances dirigeantes des clubs, des fédérations et des confédérations.

On en profite aussi pour suggérer que le confinement des commentatrices et des consultantes aux seuls matches féminins relève d’un machisme, d’une condescendance, d’une misogynie d’un autre âge. En quoi Camille Abily et Syanie Dalmat seraient-elles moins compétentes et moins légitimes pour commenter un match masculin que Bixente Lizarazu et Grégoire Margotton pour commenter un match féminin ? La question est posée.

Source photo: libre de droit

3 commentaires

  • Par « commenter un match masculin », j’avais à l’esprit « le commenter en direct », donc ni en avant-match ni en après-match. Et par « match », j’entendais « match de tout premier plan ».

    Bien sûr que les commentatrices et consultantes de foot sur La Chaîne l’Équipe ne sont pas des potiches, bien au contraire ! Mais ce n’est pas leur faire injure que de constater que leur chaîne ne détient pas les droits pour des matches de foot de l’équipe de France masculine (pas les Bleuets, hein).

    Que La Chaîne l’Équipe promeuve des commentatrices et consultantes de qualité, c’est tout à son honneur. Mais le grand public ne regarde pas cette chaîne-là, il regarde plutôt TF1, France 2, M6, W9 et C8, pour ne citer que des chaînes gratuites. Il suffirait qu’une de ces chaînes mette deux femmes – compétentes, cela va sans dire – au micro pour faire évoluer les mentalités. Et pour la suite, on peut faire confiance à l’esprit moutonnier des médias et de leurs dirigeants.

    Merci pour ce commentaire. 🙂

    • Deux femmes compétentes au micro pour un match de football masculin, ça peut (mais ce n’est que mon avis) se trouver sans difficulté. Ensuite, si on rajoute à ces binômes le critère de la consultante qui s’avère «être dans son élément», les possibilités sont (je pense) plus restreintes.
      Et si on associe ces mêmes critères aux binômes de bonhommes pour commenter un match féminin, ben ce n’est vraiment pas gagné.
      Mais filer les manettes d’un match de football masculin à 2 filles, dans l’absolu, oui, évidemment.

  • Article fort intéressant dans ses quatre premiers chapitres (bien que le quatrième se «termine» mal) qui finit (à travers son dernier chapitre) dans un militantisme des plus débridés avec ses clichés les plus convenus.
    J’ai bien aimé «L’entraîneuse de Chelsea»! Je m’imagine instantanément Mélanie LEUPOLZ en… (Pas bien! Pas bien! Je vais finir dans le viseur d’Alice COFFIN) Ben non, je n’arrive même pas à me projeter. Quand on m’évoque Mélanie LEUPOLZ, je pense d’abord à la joueuse.
    Comment les Américaines sont toutes arrivées à leur meilleur niveau le jour J? Par les plantes mon bon monsieur! Toutes achetées à l’Herboristerie du Palais Royal.
    Comment un bonhomme peut savoir d’expérience comment une femme vit un cycle menstruel? Ben s’il s’intéresse un tant soit peu à la sienne, il peut quand même en avoir une petite idée. Mais ce qui est essentiel dès le départ, c’est que l’entraîneur, qu’il s’appelle Emma Hayes ou Toto, soit conscient de ces facteurs. Après, c’est sûr que l’entraîneur d’un gros club de WSL aura plus d’outils à sa disposition que celui de R3 chez nous.
    En ce qui concerne le dernier chapitre, bof. Je dirais seulement qu’il faut regarder de temps en temps l’équipe 21 le soir. Je suis d’accord, on n’y verra pas de football féminin mais on y verra des commentatrices qui traîtent du football masculin (et elles n’ont pas l’air d’être des cautions).
    Mais sur l’idée principal de l’article, j’adhère totalement à la méthode Chelsea Women.

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