L’Italie, cette belle endormie qui se réveille enfin

Le football féminin italien est à la croisée des chemins. Après une Coupe du monde encourageante, la Squadra Azzura entame ces éliminatoires à l’Euro 2021 avec pour ambition de s’installer dans le concert des nations européennes du football féminin. Le temps de l’envol ?

«On ne peut pas toujours parler de donner des sous à quatre lesbiennes.»

Signé Felice Bolleli. Qui a toujours nié avoir prononcé ces mots lors d’une réunion en 2015. Cela n’a pas empêché la polémique. Belloli n’est pas n’importe qui. En 2015, il est le président de la Ligue de football amateur en Italie (la Lega Nazionale Dilettanti), du football de D4, mais et surtout aussi du football féminin italien.

Quatre ans plus tard, été 2019.

Après vingt ans d’absence en Coupe du monde, l’Italie sort de la compétition par la grande porte. Elle sort première de son groupe de poule, devant le Brésil, l’Australie dont elle s’offre le scalp (2-1) et la Jamaïque. Mais fatiguée par l’enchaînement des matchs, la Squadra Azzura se laisse emporter en quarts de finale par les futures vice-championnes du monde néerlandaises.

Eté 2019 toujours.

La mondialiste tricolore Julie Debever signe à l’Inter de Milan. Le club Nerazzuri se lance enfin dans le grand bain du calcio femminile après le rachat en 2018 de l’ASD Femminile Inter Milano, un club de Serie B qui vient tout juste de s’ouvrir les portes de la Serie A, la première division italienne.

2015-2019. Quatre années de secousses plus ou moins douces, comme les répliques d’un mini-séisme qui secoue de manière insistante la tectonique football de l’autre côté des Alpes. Le Mondial en France a soudain braqué le projecteur sur les forces et antagonismes qui travaillent le calcio femminile. Objectif : tourner le dos et pour toujours à vingt années de marasmes, de non investissements.

L’Italie, terre de calcio femminile ?

Entre le football féminin et l’Italie, l’histoire avait bien commencé. Lorsque les femmes amorcent le virage des années 70 avec des velléités footballistiques, l’Italie est en pointe. C’est le premier pays à organiser une compétition internationale officieuse de football en 1970 : la Coppa del Mondo. La Squadra Azzura se hisse en finale face au Danemark. 10 000 personnes assistent à leur défaite 2-0. Bis repetita en 1984, l’Italie organise le Mundialito, qu’elle remporte 3-1, face à l’Allemagne de l’Ouest. 5 000 personnes assistent à leur sacre.


Figure 1 L’équipe italienne lors du Mundial de 1970 (crédit photo Football féminin : les Coupes du monde officieuses, Thibault Rabeux

Rappeler ces histoires vieilles de quarante ans resitue l’Italie sur la carte du football féminin. S’il ne s’est quasiment rien passé durant toute la première partie des années 2000, cela ne signifie pas pour autant que le calcio femminile n’est pas chez lui en Italie. Les germes de sa résurrection étaient semés, prêts à refleurir.

2015, année zéro.

La Fiorentina est le premier club à semer. En 2015, elle crée sa propre section féminine, première étape majeure de la recomposition du football féminin. Bien sûr de nombreuses équipes existaient, une Serie A depuis 1968, dominée surtout le Brescia Calcio Femminile. Mais la Fiorentina est le premier club d’envergure à avoir compris l’importance de créer une équipe féminine de haut niveau, lui faire bénéficier des structures professionnelles mises à disposition des hommes.


Figure 2 La Fiorentina est la première équipe à créer une « jumelle » à l’équipe masculine, en 2015 (crédit photo FIFA)

C’est également un des seuls clubs à avoir créé sa section féminine. Fiorentina, first mover. Les autres grosses écuries dans son sillage optent pour la stratégie fusion. On repère un club prometteur du calcio femminile, on le rachète, on joue les premiers rôles en Serie A. En échange, on donne son nom, son aura, ses infrastructures, des moyens. Bref. On existe.

En 2017, le Cueno Calcio n’existe plus, racheté par la Juventus de Turin. Un an plus tard, en 2018, le légendaire ACF Brescia Calcio connaît le même destin, racheté par le Milan AC. Dernier club à rejoindre le mouvement à ce jour, l’Inter de Milan, qui s’offre l’ASD Femminile Inter Milano.

À l’orée de cette saison 2019-2020, seuls deux clubs ne sont pas affiliés à une structure masculine : Florentia San Gimignano et l’UPC Tavagnacco. En France comme ailleurs, sans soutien d’un club masculin, difficile de durer au plus haut niveau aujourd’hui. Cette saison en première division française, seul le club de Soyaux ne s’appuie que sur lui-même et son histoire.

Saison 2018-2019 le calcio femminile change de dimension

Ça pousse de partout. Pour la première fois, le championnat est organisé par la Fédération de football italien. Ça structure, ça fait sérieux. Et le reste suit. La diffusion médiatique de cette saison pré Mondial attise les convoitises. La Sky obtient les droits de diffusion des matchs de Serie A, alléchée par la perspective du Mondial, et le succès des retransmissions de la saison précédente sur la page Facebook de la Lega nazionale dilettanti, sur le site calciofemminile.lnd.it ainsi qu’en clair sur Raisport.

La Sky entend rentabiliser son investissement. En mars 2019, la chaîne réalise une opération d’envergure pour le choc entre la Juventus et la Fiorentina. Publicités, billets gratuits. Immense succès. Près de 40 000 spectateurs se pressent au Stade Allianz de Turin pour assister au succès 1-0 des Turinoises. Record absolu.

Cette mécanique qui se met en place attire les sponsors. En 2018, la Juve lance un partenariat avec Mars Inc., pour afficher la marque M&Ms sur les maillots noir et blanc jusqu’en 2021.

Les joueuses commencent à exister, les Barbara Bonnasea, Daniela Sabatino. Ou existent carrément, jouissent d’une popularité réelle, à l’image de la capitaine de la Squadra Azzura, Sara Gama, qui a droit à son effigie Barbie.


Figure 3 Sara Gama version Barbie (crédit photo onestoptrendingnews)

Les joueuses italiennes ont également fait leur grande entrée dans l’album Panini des footballeurs. Ces femmes-là intriguent, intéressent, amènent à elles d’autres filles, d’autres femmes. Ce n’est pas encore un raz-de-marée, mais la hausse de 7% de nombre de licenciées entre 2013 et 2017 dessine une tendance de fond. On est loin des 200 000 licenciées françaises, du million allemand. Reste que le mouvement est enclenché.

L’Italie, toujours derrière l’Allemagne, la France, l’Espagne

Ça bouge, ça pourrait bouger plus.

Le championnat italien commence à être attractif, mais moins que la France, l’Espagne ou l’Allemagne. Le parcours de ses équipes s’arrête généralement assez vite en Ligue des Championnes. L’année dernière, la Juventus de Turin, future championne d’Italie s’est fait sortir en seizièmes de finale par les Danoises de Brøndby IF. La Fiorentina s’est quant à elle fait atomisée en huitièmes par Chelsea (total sur les deux rencontres 7-0).

Les joueuses étrangères restent peu nombreuses, même cela commence aussi à changer. L’exemple de l’internationale française Julie Debever l’illustre.

En même temps que Debever, quatre joueuses étrangères ont rejoint les Nerazzuri : la Belge Ella Van Kerkhoven, de la Finlandaise Anna Emilia Auvinen, la Tchèque Eva Bartonova et la Portugaise Andreia Alexandra Norton.

Le mouvement est sans doute appelé à devenir plus massif. Néanmoins, le calcio femminile peut également inquiéter les joueuses étrangères par l’instabilité et la fragilité qui peut en émaner. En témoigne la triste histoire de l’Atalanta Mozzanica, sixième du championnat la saison dernière, simplement rayé de la carte footballistique à l’été 2019. Son propriétaire affirme ne pas avoir assez d’argent pour poursuivre.

Rideau.

Le calcio femminile : miroir mon beau miroir

L’Italie est un miroir de nos propres questionnements, en France. Et du chemin à parcourir. À commencer par le statut des joueuses. Les Italiennes ne sont pas professionnelles. Elles n’ont pas un salaire mais un remboursement de frais. Elles n’ont pas de retraite, pas d’assurance maladie. Comme si elles n’étaient que des demi-footballeuses. Pourtant leur métier est le football. Elles sont souvent obligées de mener une double vie, travail et football, pour avoir une source de revenus et subvenir à leurs besoins. Ce statut peut attractif peut aussi expliquer pourquoi encore aujourd’hui peu de joueuses étrangères évoluent dans ce championnat.

La Squadra Azzura a suscité un engouement populaire particulièrement surprenant en Italie. On ne l’avait pas vu venir. Les Sara Gama, Barbara Bonansea, Aurora Galli, et autres Cristiana Girelli ont franchi des montagnes sportives, attirant à elles un public, des supporters. Il y a eu, en ce mois de juin 2019, un élan football féminin en Italie.

Mais comment trouver les mots pour parler d’une discipline finalement assez méconnue, et qui déplace les traditionnels curseurs de lecture ? Parmi les journalistes qui ont suivi l’événement, certains découvraient le football féminin. Alors ils se fondaient sur leurs repères et références, à savoir le football masculin. La comparaison est tentante. Dire que le football des femmes est plus comme ceci, moins comme cela, au regard du football des hommes, a arraché à la légende du football italien au féminin Carolina Morace, un cri de colère et d’exaspération :

«Tu peux m’épargner les conneries de la comparaison entre hommes et femmes. Personne ne compare Serena Williams à Nadal. »


Figure 4 Coup de gueule de Carolina Morace, légende du football italien, pour arrêter de comparer football féminin et football masculin (crédit photo Donna Glamour)

D’autres pays européens observent cette même tendance. En France par exemple, lors de la finale de la Ligue des Championnes entre l’Olympique Lyonnais et le FC Barcelone, les chaînes sportives qui avaient choisi de consacrer leur soirée à l’événement se trouvaient dans la position délicate de parler d’un sport qu’elles ne suivent pas et connaissent donc mal.

Les lieux du football féminin

Comme d’autres nations en Europe, France, Allemagne, Espagne et ailleurs, en ces temps post Coupe du monde, l’heure est à la fidélisation d’un public de supporters. Il faut connaître les joueuses, s’identifier à elles, qu’elles deviennent des modèles, qu’on ait envie d’aller les voir le weekend au stade. Le coup de la Sky et des 40 000 supporters de mars dernier est-il amené à n’être qu’un épiphénomène ? Le football féminin est une affaire de récit, qu’il faut savoir raconter. On aime les grandes épopées. Pour cela il faut des lieux, des medias pour raconter, analyser, se remémorer. En Italie, cela manque encore. La journaliste Silvia Galbiati qui a collaboré à la Gazzetta dello Sport et Sky Sport souligne à quel point le calcio femminile manque de lieux.

Pas de journaux dédiés, pas d’émission, pas d’analyse. Pas encore de quoi transmettre la passion, ni faire du football féminin un sport de société. C’est pourtant à cette condition que le public deviendra fidèle, que le football féminin quittera cet anonymat, et pour toujours.

La principale vertu de la Coupe du monde est d’avoir prouvé aux Italiennes et Italiens qu’une Squadra Azzura au féminin existait, qu’elle valait la peine d’être suivie, encouragée. Elle a levé le voile sur une discipline qui joue des coudes pour se faire une place au soleil. Elle existe, c’est indéniable. Vient maintenant l’heure de la structuration, la consolidation. De la conquête de nouveaux horizons. Ces éliminatoires à l’Euro 2021 seront l’épreuve du feu. La victoire face à Malte 2-0 le 4 octobre dernier montre la voie.

Crédit Photo de couverture : Le Parisien

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