Après un été bien chargé et une Coupe du Monde à la maison, le match de reprise des Bleues les attend ce samedi 31 août à Clermont-Ferrand. Et elles rencontreront une nation qu’elles n’ont pas croisée en Coupe du Monde, l’Espagne. L’occasion donc de creuser un peu sur ce pays, et d’explorer comment la pratique féminine fonctionne là-bas. Bonnes pratiques, particularités, problèmes à améliorer, on vous dit tout sur le foot espagnol…
Parce que nous sommes persuadés qu’il existe des bonnes pratiques et des idées de modèles de développement que nous ne connaissons pas, il est important de dépasser les frontières et d’aller voir comment cela se passe ailleurs. Le match amical France-Espagne marque le bon moment pour commencer par vous présenter l’Espagne, pays limitrophe et pourtant différent
sur certains points…
Une nation en progression croissante ces dernières années
Longtemps à la traîne par rapport à ses voisins européens, le foot espagnol remonte la pente et est en plein essor depuis environ trois ans. Il est même le sport féminin à avoir le plus augmenté, en termes de nombres de licenciées : 24 000 en 2010 contre 60 329 en 2019, selon le Conseil Supérieur de Sport. Eliminée en 8e de finale par la plus grande nation du monde, et 13ème au classement FIFA, la Roja ne faisait pas partie des favoris de ce Mondial. Mais les générations suivantes arrivent, et sont bien déterminées à s’imposer sur la scène footballistique. Les jeunes Espagnoles raflent tout : les moins de 17 ans ont remporté le Mondial et le championnat européen, les moins de 19 ont été sacrées championnes d’Europe en 2018, et les moins de 20 ans sont arrivées jusqu’en finale de Coupe du Monde de leur catégorie.
Alors comment expliquer cette récente progression qui ne s’arrête plus ? L’Espagne partait déjà avec un handicap : une fédération peu investie et qui ne laisse pas assez de place aux joueuses. Original donc, les clubs ont dû s’organiser eux-mêmes. Mais en 2015 se crée l’Association des Clubs de Football Féminin, avec comme objectif, le développement de la pratique féminine ibérique. En août 2016, Iberdrola, géant de l’énergie, devient le plus gros sponsor de la Liga Iberdrola, 1ère division du championnat espagnol, et lui procure 2 millions d’euros par an. Cela a permis une meilleure visibilité et une plus grosse couverture médiatique, donc un public plus nombreux, donc une hausse du nombre de licenciées et une amélioration des conditions des clubs et des joueuses… Magique ! Comme quoi quand on y met les moyens, ça marche !
Le championnat féminin remodelé
Depuis peu, la RFEF cherche même à se réinvestir dans le football au féminin, et a proposé un nouveau modèle de championnat : une nouvelle Division Elite, avec entre 8 et 16 équipes, qui remplacera la Liga Iberdrola actuelle, et qui sera l’unique porte d’accès à la Champions League. Selon la RFEF elle serait également dotée d’une convention collective, et instaurerait un quota maximum de joueuses étrangères. Un cran en dessous, la Fédération prévoit la Division Promesas, avec entre 8 et 32 équipes, divisées en quatre groupes territoriaux. Pour y participer les clubs devront avoir la licence de la RFEF et signer un contrat avec la fédération. Ce nouveau modèle cherche à consolider la pratique féminine, à contribuer à sa professionnalisation, à garantir le plus grand niveau de compétition et à maintenir l’équilibre économique financier des clubs. La fédération cherche aussi à ce que le football devienne le sport le plus pratiqué par les jeunes filles espagnoles dans quelques années. Un projet contre lequel l’ACFF s’est insurgée.
Une pratique encore dans l’ombre du foot masculin
Le plus gros point d’ombre dans le sport en Espagne, c’est la « Ley del Deporte ». Etablie en 1990, elle ne conçoit pas la professionnalisation des femmes dans le sport, ce dernier étant un domaine d’hommes. Cette loi bloque donc la professionnalisation des joueuses. Seuls 5 clubs sur 16 en Liga Iberdrola offrent des contrats fixes et décents aux footballeuses. Ainsi, selon Pilar Calvo, secrétaire générale de l’Association pour les Femmes dans le Sport Professionnel (AMDP), aucune joueuse de Liga Iberdrola n’est professionnelle. Résultat, elles sont peu payées, voire pas du tout : 9% des footballeuses élite touchent entre 1 620€ et 6 480€ par mois, 31% gagnent moins de 500€, et le reste des joueuses ne sont pas payées du tout. L’ACFF, qui veut garantir la protection sportive, professionnelle, humaine et éducative des footballeuses, demande d’ailleurs une augmentation du salaire annuel brut des joueuses, actuellement de 14 000€, à 20 000€.
Autre injustice, la pratique féminine ne bénéficie pas de convention collective de travail. Aucun texte donc qui établirait le statut des footballeuses et qui protégeraient leurs droits, ce sport est comme livré à lui-même. Ce qui conduit à des conditions professionnelles déplorables pour les joueuses, et à des différences entre les clubs. Selon Pilar Calvo, l’AMDP travaille d’ailleurs actuellement à l’établissement d’une convention collective de travail pour les joueuses.
Encore plus grave, l’ACFF et l’AMDP dénoncent des clauses contre la grossesse des joueuses :
« Elles ne sont pas écrites dans les contrats, mais elles existent. Si elles tombent enceintes, les joueuses savent très bien qu’elles mettent en danger leur carrière sportive. Elles doivent donc choisir entre être maman et leur carrière dans le football. Et vu qu’elles ne gagnent pas assez pour vivre, elles ne songent même pas à fonder une famille. » déclare Pilar Calvo, de l’AMDP.
Aussi, la professionnalisation étant compliquée dans ce sport pour les femmes, et les salaires étant limités, elles ont rarement les moyens d’élever des enfants. Pour cause, dans les 16 équipes de la Liga Iberdrola, aucune joueuse n’est maman.
La progression ne fait donc que commencer. D’autant plus que toutes les équipes phares masculines du pays avaient une section féminine sauf le Real Madrid, mais il vient de créer la sienne en rachetant et en fusionnant par absorption le CD Tacon pour 2020.. Le plus gros club qui présente une équipe féminine, cela risque de donner un sacré coup de boost à la discipline !
Crédits Photos : FIFA
Et bien cette «Ley del deporte» semble s’avérer un vrai boulet pour les Espagnoles. Et le fait qu’elle soit sortie en 1990 sous la gouvernance de Felipe González (camp des «bons») me laisse pantois.