Pourquoi l’Olympique lyonnais (à travers OL Groupe) et Jean-Michel Aulas ont-ils acquis le Reign FC, club 100 % féminin où évoluent Megan Rapinoe et Allie Long ? Certainement pas pour faire de la figuration aux États-Unis ni pour limiter leurs ambitions au territoire états-unien. Cette emplette de luxe formalise le vœu de transformer la marque OL en plaque tournante dans l’univers féminin du football.
Dévoilée le 10 octobre 2019, négociée dès le 25 novembre, officialisée le 19 décembre 2019 et finalisée en janvier 2020. L’acquisition du Reign FC par la maison mère de l’OL ne représente ni un coup de tête, ni un coup de dés, ni un coup isolé, ni un coût prohibitif. Il s’agit là d’une opération à la fois sportive, financière et stratégique mûrement réfléchie. Tous les éléments officiels de cette opération le confirment, de même que toutes ses implications potentielles.
Rappel des faits
Le Reign FC a cofondé en 2012 la NWSL (National Women’s Soccer League), dont le championnat passera de neuf clubs en 2019 à douze clubs pour la nouvelle saison qui commence en avril 2020. Établi au nord-ouest des États-Unis dans la ville de Tacoma, à une cinquantaine de kilomètres de Seattle, le Reign FC dispose à la fois d’une équipe première et d’un centre de formation de footballeuses de tout niveau, en particulier celui de l’élite.
La championne du monde et Ballon d’or 2019, Megan Rapinoe, est la joueuse emblématique de ce club qui compte parmi son effectif la Galloise Jessica Fishlock. Les deux femmes ont déjà porté le maillot de l’OL et ont dit tout le bien qu’elles pensaient du rachat du Reign FC par Lyon.
Une pluie de compétences
Avant même d’évoquer le volet contractuel de la transaction proprement dite, faisons un peu de name dropping en soulignant la présence de personnages clés lors de l’annonce officielle du rachat. Il y avait bien sûr Bill et Theresa Predmore, les fondateurs et désormais actionnaires minoritaires du club américain, de même que Jean-Michel Aulas, patron de l’Olympique lyonnais et président de sa maison mère OL Groupe.
La présence de trois autres personnes suggère un non-dit de l’opération, en l’occurrence le geste stratégique et la formidable ambition qui la sous-tendent. L’ancien basketteur Tony Parker, patron de l’Asvel (Villeurbanne), ambassadeur international de l’OL, ami personnel et partenaire en affaires d’Aulas avait fait le déplacement, de même que Sonia Bompastor, qui dirige le centre de formation des footballeuses de l’OL. Enfin, Amanda Duffy, la présidente de la NWSL, était aussi sur la tribune.
Jean-Michel Aulas passe un contrat
Jean-Michel Aulas, infatigable promoteur du football au féminin, ne limite plus à l’Hexagone ou à l’Europe ses ambitions pour le sport roi pratiqué par les reines du stade. Il y a fort à parier que le contrat, revu et corrigé par un bataillon de juristes, contient des clauses révélatrices à cet égard.
Notons que lors de la présentation officielle du rachat à Tacoma, Jean-Michel Aulas n’a rien dit du patrimoine culinaire et architectural de l’ancienne capitale des Gaules. Il a d’emblée mis en avant la dimension entrepreneuriale, le pouvoir d’achat et le vif intérêt de Lyon pour les affaires à haut niveau. L’ère n’est plus à l’absorption en 2004 de la section féminine du FC Lyon, mais à la préparation d’un projet galactique, tant par le rayonnement du Reign FC, de l’OL et de leurs joueuses dans leurs propres championnats, que par l’exportation de la marque et du savoir-faire de l’OL sur l’ensemble de la planète.
Le contrat de cession (3,15 millions d’euros) stipule que Theresa et Bill Predmore conservent 7,5 % des parts du Reign FC, que Tony Parker en acquiert 3 % et qu’OL Groupe détient 89,5 % du capital. Si Jean-Michel Aulas devient président du conseil d’administration du Reign FC, le fondateur du club continue au quotidien de le diriger (CEO) et la fondatrice reste à la tête de la Reign Academy, le centre de formation que le club consacre uniquement aux footballeuses.
Une stratégie audacieuse
Tous les éléments que l’on vient d’énumérer préfigurent sans nul doute une opération à grande échelle et à nombreuses ramifications. Répondons d’emblée à la question la plus basique : oui, bien sûr qu’OL Groupe et Aulas veulent remporter à la fois le championnat américain avec Reign FC et le championnat français avec l’OL. Mais il faut voir encore plus loin et offrir un enracinement encore plus profond.
La formation voit double
La présence de Sonia Bompastor à Tacoma en décembre dernier et le maintien de Theresa Predmore à son poste n’ont rien d’anecdotique. C’est d’abord et avant tout par la formation que les deux clubs veulent sceller l’excellence de leur coopération, autant dire de leur sororité. De fait, les deux clubs offrent une prometteuse complémentarité. L’OL est connu pour la qualité de son centre et de ses équipements de formation, comparables à ceux des hommes, tandis que le Reign FC jouit à Tacoma d’un stade beaucoup plus impressionnant que ceux où évoluent les équipes féminines en France.
Il y a donc fort à parier que les footballeuses en centre de formation à Lyon et à Tacoma auront l’occasion d’entremêler leur destin sinon leur quotidien. La confrontation à un autre pays, à une autre langue, à un autre contexte sportif et à un autre style de jeu, tout cela permet à une footballeuse en devenir de gagner en expérience et en maturité. Même chose, d’ailleurs, pour des joueuses qui évoluent déjà dans l’équipe première. Et il est probable que les flux se feront dans les deux sens, OL-Reign et Reign-OL, pour le bien de toutes.
Les copines d’abord
La section féminine de l’Olympique lyonnais a compris avant beaucoup d’autres clubs l’importance d’un centre de formation performant. Le club rhodanien en tire aujourd’hui les bénéfices et engrange les titres nationaux et européens comme nul autre sur la planète foot.
Cette excellence est appelée à devenir aussi la marque de fabrique du Reign FC (qui a naguère régné sur le football étatsunien) et de son centre de formation. Le club de Lyon y trouvera un intérêt majeur en obtenant peut-être, un droit de préemption par l’OL sur les joueuses formées à Tacoma. Car même si le plafond salarial américain est rehaussé en 2020 pour les clubs de la NWSL, les footballeuses gagnent plus à jouer chez les cadors des grands championnats européens. Un pacte préférentiel faciliterait le transfert à Lyon d’une joueuse évoluant à Tacoma. De quoi éviter que les pépites aillent dans des clubs concurrents, à l’instar de Sam Kerr vers Chelsea après son passage chez les Chicago Red Stars.
La saisonnalité du football n’étant pas la même des deux côtés de l’Atlantique, il y a fort à parier que Lyon n’hésitera pas à payer des piges aux meilleures joueuses américaines avant le démarrage de leur championnat ou en fin de saison, donc pendant les traditionnels coups de mou des équipes françaises dont la saison commence l’été.
Le ROI du business
Jean-Michel Aulas est, tout le monde le sait, l’homme d’un stade. Le Groupama Stadium, c’est lui. Les joueuses du Reign FC évoluent dans le Cheney Stadium de Tacoma, qui n’a certes rien à envier au football de France, mais qui n’a pas non plus été construit pour le soccer. Le bâtisseur Aulas voudra sans doute faire construire un stade à la mesure de ses ambitions féminines à Tacoma. Ce n’est pas encore d’actualité, mais on peut déjà prendre les paris.
Jean-Michel Aulas et Tony Parker sont, tout le monde le sait, les rois du merchandising. Ils savent vendre les maillots et l’image de leurs stars mieux que quiconque. Nul doute qu’avec Megan Rapinoe en tête de proue américaine, les ventes de maillots vont atteindre des sommets à l’OL comme chez sa nouvelle filiale.
Encore faudra-t-il que le football au féminin gagne en popularité aux États-Unis. Non pas par rapport au foot masculin (c’est déjà fait), mais par rapport aux autres sports. La présence de la patronne de la NWSL lors de l’annonce du rachat n’est, là non plus, certainement pas anodine. L’argent d’OL Groupe et d’Aulas pourrait par exemple financer des campagnes de publicité en faveur du foot pratiqué au Reign FC et dans tout le pays. Ou financer une campagne d’image dont le porte-drapeau aurait pour nom Megan Rapinoe.
Stratégie à double tranchant : autant Rapinoe répand l’enthousiasme quand elle approuve une initiative, autant elle se répand en sarcasmes dès lors que – Donald Trump en sait quelque chose – l’on devient son ennemi.
Un jeu à triple bande
L’acquisition du Reign FC ne constitue pas pour Aulas une fin en soi, mais un moyen de contribuer au rayonnement continental de la marque OL. On parle ici du continent américain, qui lui-même s’inscrit dans une stratégie lyonnaise à visée planétaire. Car l’objectif ultime de l’homme d’affaires français consiste à exporter la marque OL dans tous les continents.
La mécanique entrepreneuriale a déjà commencé en direction de la Chine. Le chinois IDG Capital Partners possède maintenant 20 % du club lyonnais. En contrepartie, OL Groupe exporte vers la Chine son savoir-faire en matière de formation, de merchandising et de billetterie.
On peut présumer que des synergies germeront non seulement entre l’OL et Reign FC, mais aussi entre les deux centres de formation, voire entre Lyon, Tacoma et la Chine. Cela passerait, comme on l’a suggéré ci-dessus, par des stages de joueuses dans le centre de formation partenaire, ou encore par des échanges ou des prêts de footballeuses.
Des opérations à la fois sportives et professionnelles pourront donc naître d’un partenariat franco-américano-chinois sous l’égide de Jean-Michel Aulas. Par exemple, à travers l’organisation de matches entre les centres de formation pilotés par Sonia Bompastor et Theresa Tredmore, entre les équipes premières (mais aussi U20, U19, etc.) de l’OL et du Reign FC. Et, pourquoi pas aussi, en organisant des matches d’un championnat national dans un autre pays, ce qui expliquerait pourquoi la patronne de la NWSL s’intéresse de si près au rapprochement Reign-OL. On pourrait même organiser des matches de gala entre les deux équipes, à Lyon, à Tacoma, voire dans des stades en Chine.
Une telle stratégie ne tient pas à la seule monétisation d’un club et de son effectif. Les footballeuses elles-mêmes ont tout à y gagner. Par l’obtention de primes, certes, mais aussi par des méthodes pédagogiques plus diversifiées et par des confrontations sportives directes susceptibles d’élever leur niveau de jeu – donc d’accroître leur propre valorisation financière.
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