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Encore en retard par rapport à certains de ses voisins européens, le football féminin suisse souffre d’un modèle où les joueuses sont pour la plupart amatrices. Mais la fédération, bien décidée à développer la pratique, y met les moyens. L’essor du football féminin suisse est lancé…
Avec un nombre de licenciées qui augmente chaque année de 6 à 7%, la Suisse a entamé le développement de son football féminin, actuellement 20ème au classement FIFA. Pourtant, éliminée en barrages par les Pays-Bas, son équipe nationale n’a pas participé à la Coupe du Monde 2019. Un regret, car cela aurait pu servir de tremplin et de caisse de résonance pour la pratique dans le pays. Pleine de potentiel et d’espoir, la Suisse a encore fort à faire pour développer son football féminin.
Avec 28 423 licenciées lors de la saison 2018-2019, l’Association Suisse de Football (ASF) a vu son nombre de joueuses doubler en 15 ans. Mais rapportées au nombre total de licenciés, les filles ne représentent que 10%. La pratique souffre d’une médiatisation différenciée, comme dans de nombreux pays. Même si celle-ci s’est développée ces dernières années pour les joueuses en raison de la qualification de l’équipe suisse pour les derniers tournois, la couverture du sport féminin reste minime comparée à celle du sport masculin, selon l’ASF : « On estime qu’à la TV le football féminin présente un pourcentage inférieur à celui du football masculin« . Et la Coupe du Monde aurait pu être un véritable plus pour la visibilité, et pour donner envie à de plus en plus de jeunes filles de faire du foot. Mais pas que.
« Un développement et une médiatisation encore plus poussée de la National League A (NLA), le plus haut championnat féminin, aiderait également les jeunes filles à se mettre au football »
Avoir un métier en plus du football : les conditions difficiles des joueuses
Le football féminin suisse est laissé derrière par ses voisins européens avec qui l’écart se creuse de plus en plus : en effet, beaucoup de clubs étrangers accèdent à la professionnalisation de leurs joueuses et de la pratique depuis ces dernières années. La Suisse elle, voit encore ses joueuses évoluer à un niveau amateur : « Les joueuses en NLA sont dans la plupart des cas des joueuses amatrices. Elles travaillent à temps plein ou partiel à côté pour pouvoir vivre, sont étudiantes ou écolières » explique l’ASF. Le football féminin suisse compte actuellement 3 clubs avec un total de 17 joueuses professionnelles, sur les 8 clubs qui évoluent en NLA. Celles-ci ont un contrat avec leur club et reçoivent une indemnité. Les autres joueuses doivent s’entraîner jusqu’à 8 fois par semaine tout en ayant un emploi à côté. Cela représente forcément un gros frein au développement de la pratique et empêche le football féminin suisse d’atteindre l’élite. Soumises à une pression trop forte, les joueuses se blessent également plus fréquemment. Et pour les soigner, pas de structures professionnelles avec médecins et kinés, mais plusieurs jours d’attente pour un rendez-vous chez un médecin de la ville.
La Suisse, un modèle d’expatriation
En considérant ces conditions, les joueuses sont forcément attirées pour aller jouer dans des clubs étrangers. Et c’est ce que la plupart font. « Les filles ne sont pas obligées de partir à l’étranger mais actuellement, si elles veulent vivre du football, elles devront s’expatrier » concède l’ASF. Par contre, ces joueuses peuvent bénéficier d’une bonne formation en Suisse jusqu’à leur 18 ou 20 ans, et ne partent donc rarement avant. « Nous considérons notre championnat comme un championnat formateur » affirme l’ASF. Cette dernière voit d’ailleurs un intérêt dans l’expatriation ensuite de ses joueuses, même si elle aimerait développer l’élite :
« De plus, cela est dans l’intérêt de la joueuse et de l’équipe nationale que les meilleures joueuses jouent dans les meilleurs championnats comme la France, l’Allemagne ou l’Angleterre. »
L’équipe de Suisse face à l’Autriche, début mars 2020. Crédit Photo : ASF
Une fédération motivée avec plusieurs pistes d’améliorations
La fédération souhaite donc rattraper ses voisins européens, en développant l’élite, et en offrant à ses joueuses des conditions professionnelles. « Ce n’est pas qu’une question de salaire, c’est tout un environnement« . En effet, des infrastructures professionnelles, des médecins, des entraîneurs… Et pour cela, la fédération devra sortir les moyens. Chose qu’elle a déjà commencé, en créant récemment un département féminin, alors qu’avant le football féminin n’était qu’une subdivision du département technique au sein de l’ASF.
« Notre département contribue au développement du football féminin et nous avons un budget pour cela. Nous essayons principalement de développer la formation, et les clubs de NLA reçoivent un dédommagement pour cela sous forme de label avec des critères. Nous aimerions dans un avenir proche que tous les clubs de football professionnels masculins contribuent également à ce développement. Comme certains le font déjà. »
De plus, le développement du secteur féminin fait partie des cinq priorités de la fédération, pour lesquelles elle a débloqué deux millions de francs. La fédération fait donc des avancées, mais est-ce suffisant ? Linda Vialatte, présidente du FC Yverdon Féminin, confie dans une interview pour la Radio Télévision Suisse que les moyens financiers investis dans le football féminin ne sont pas suffisants.

Autre point que souhaite améliorer la fédération : l’âge auquel les filles commencent le foot, qui est beaucoup plus tardif que les garçons. « Nous voulons pousser les plus jeunes à commencer le football encore plus tôt, car plus nous aurons de la masse, plus l’élite se développera » explique l’ASF. En moyenne, les filles commencent à 7 ou 8 ans, quand les garçons commencent à 5 ou 6 ans. De quoi creuser l’écart, dès le début…
D’autres pistes de réflexions pour le football féminin suisse se trouvent autour du modèle en vigueur, que nous explique la fédération :
« En Suisse, il existe trois modèles pour les clubs de football féminin : l’indépendance, la semi-intégration dans les clubs de football professionnels masculins et l’intégration complète. Dans l’idéal, il serait effectivement judicieux que tous les clubs professionnels masculins intègrent un club de football féminin de NLA afin qu’ils puissent profiter de la synergie et des infrastructures professionnelles. Les clubs de football féminin indépendants subsistent grâce aux sponsors et aux différentes aides (cantons, ville, ASF). Nous espérons que la considération et la reconnaissance du football féminin, ainsi que l’intérêt croissant des médias et de l’économie pour ce sport, motiveront davantage de clubs à diriger des clubs de football féminin plus professionnellement. »
Pour celle-ci, il n’est cependant pas envisageable d’obliger les clubs masculins à avoir une section féminine s’ils veulent participer à un championnat. Pourtant, pour Tatjana Haenni, ancienne joueuse et responsable du football féminin à l’ASF, ce serait une piste de développement efficace : « Il faudrait que tous les clubs aient une équipe féminine. Actuellement, c’est le cas que pour un tiers des clubs masculins.«
La fédération, bien consciente du potentiel de son football féminin, et ses retards à rattraper, s’est fixée plusieurs objectifs : établir la discipline comme numéro un auprès des femmes dans le pays, qualifier régulièrement l’équipe nationale aux compétitions internationales pour plus de visibilité, renforcer la NLA et augmenter la représentation féminine au sein de la fédération. L’ascension est bien entamée, et le progrès en cours. Si elle trouve son modèle féminin, la Suisse pourrait bien se retrouver parmi les meilleurs pays européens dans quelques années. « La culture du football dans chaque club, dans chaque officiel de clubs, doit se développer de telle manière qu’il y ait une prise de conscience que le football est un grand sport pour tous, pour les filles et les garçons » conclut la fédération.
Et après la crise du coronavirus ?
La crise sanitaire actuelle ne laisse pas sans inquiétude. Tous les sports sont à l’arrêt, plus de matches, plus d’entraînement… Un coup dur pour les amateurs, mais aussi pour l’économie du sport. Et il y a fort à parier que dans le foot, les femmes paient encore plus les pots cassés. Les employés de l’ASF étant tous au chômage partiel, ils ne peuvent pas pour l’instant juger de l’impact que la crise aura sur le football suisse. Pourtant, la fédération assure qu’elle fait tout pour protéger ses joueurs :
« Les joueuses et joueurs sont engagés avec leurs clubs et le suivi est fait par leurs clubs respectifs. Il existe déjà différents modèles de soutien en place et nous sommes convaincus qu’il continuera à y avoir une grande solidarité à différents niveaux. »
L’ASF affirme être en contact régulier avec les joueuses, et que certaines ont bénéficié de programmes. Pour l’instant, la seule conséquence pour elles est la suppression des matches et des entraînements. « Nous ne pensons pas à l’heure actuelle que cette crise impactera sur la pratique du football féminin dans notre pays » conclut l’ASF. Il n’y a plus qu’à attendre la reprise du sport pour le savoir…