Il y a 120 ans : le vent se lève, le foot féminin apparaît

À l’origine du football féminin, en 1894, une jeune Anglaise très mystérieuse, Nettie Honeyball, et une aristocrate bon teint, Lady Florence Dixie. Même si elle dura moins de deux ans, l’expérience du British Ladies FC demeure l’acte de naissance de la discipline. Sans ces courageuses jeunes femmes de l’ère victorienne, il n’y aurait peut-être ni Marta, ni Louisa Nécib…

 

 

L’idée s’est-elle faufilée cahin-caha, grignotant du terrain chaque jour ? Ou au contraire a-t-elle surgi sans prévenir à l’heure du thé, entre deux lampées de Darjeeling et une bouchée de scone délicieusement recouvert de confiture de fraises et de crème ? Nul ne le saura jamais. Seule certitude, la bien-nommée Nettie Honeyball décida un jour de 1894, tout juste 120 ans derrière nous, de ne plus laisser aux hommes le monopole de ce jeu qui passionnait les foules, le football, en le déclinant au féminin. Certes, bien des signes l’indiquent : des filles tapaient déjà dans la sphère de cuir ici ou là. Mais personne n’avait jamais songé à créer une équipe, à organiser des matches. Nettie, elle, prend le bulldog par les oreilles et s’en va placarder un peu partout ses annonces : recherche filles pour jouer au football. En un éclair, son équipe baptisée The British Ladies FC compte une trentaine de pratiquantes et une vingtaine de collaborateurs ! Le train de l’Histoire est lancé, et il sifflera bien plus que trois fois, malgré quelques déraillements…

 

Loakes Park

 

We want sex equality !

 

Si un grand mystère entoure Nettie Honeyball (son nom trop beau pour être vrai, ses origines sociales, son âge, estimé autour de 25 ans), nul doute ne plane sur la présidente du club : Lady Florence Dixie, fascinant personnage de roman, fille du marquis de Queensbury, membre d’une famille marquée par les maladies mentales et les suicides, voyageuse, correspondante de guerre, sportive, écrivain et active militante féministe… Elle accepte l’offre de Nettie, à condition que « les filles se consacrent au jeu corps et âme ». Elles s’y s’adonneront au-delà de toutes ses espérances, ne rechignant pas à s’entraîner deux fois par semaine dans la boue de terrains dépourvus du moindre brin de gazon. Elles qui n’ont jamais touché un ballon s’appliquent au mieux, sous les ordres de leur coach, J .W. Julian, avant-centre des Spurs de Tottenham…

 

Le 6 février 1895, après plusieurs semaines d’apprentissage, Nettie décline au Sketch ses objectifs : « Prouver au monde que les femmes ne sont pas les créatures ornementales et inutiles que les hommes aiment à dépeindre ». Elle affirme son credo en l’émancipation de son sexe, et rêve du jour où les femmes entreront au Parlement avec voix au chapitre, à commencer sur leurs propres affaires. À une époque corsetée (au propre comme au figuré) par l’hyperconservatisme victorien, et alors que les suffragistes de Millicent Fawcett et les suffragettes plus radicales d’Emmeline Pankhurst n’ont pas encore émergé, la démarche de Nettie crée la sensation. Tout comme la présence d’une joueuse de couleur, Carrie Boustead, ou les tenues portées : larges blouses, pantalons bouffants, coiffes de pêcheurs…

 

La fameuse Nettie Honeyball 

 

10 000 spectateurs enthousiastes, la presse entre débats et polémiques

 

Lorsque le premier match « exhibition » a enfin lieu le 23 mars 1895, première rencontre de football féminin jamais organisée dans le monde selon les lois du jeu, l’attente est immense. Elle s‘est nourrie des articles d’une presse très intriguée par ces drôles de dames jouant presque toutes sous des pseudonymes. Pas moins de 10 000 spectateurs se pressent en ce jour historique autour du terrain de Nightingale Lane et encouragent les rouges du « Nord » et les bleues marines et ciel du « Sud », les deux équipes du British Ladies FC…

 

On raconte que les filles étaient tétanisées. Se produire devant une si grande foule et dans des tenues jugées quasi « affriolantes », pensez ! Les joueuses du Nord, emmenées par Nettie évoluant elle-même en défense centrale, surmontent mieux leur paralysie que leurs collègues d’entraînement et l’emportent 7-1. Le public s’enthousiasme et fête les joueuses à la fin du match. Mais la piètre qualité du jeu produit déchaîne une partie de la presse. The Sketch fulmine : « Il ne saurait être question de football féminin, si l’on s’en tient aux performances des British Ladies. Un footballeur demande vitesse, jugement, talent et cran. On n’a rien vu de cela. Aucune règle du jeu n’a été respectée, et l’arbitre a vécu l’enfer ». Des débats sont lancés : les jeunes femmes ne devraient-elles pas se réserver pour des sports plus adéquats tels que l’équitation, le patinage, la gymnastique, le golf, le tennis ? Propos tenus en 1895, propos maintenus mot pour mot en janvier 2014 dans l’émission de Laurent Ruquier sur le service public… Mais d’autres journalistes relativisent en cette fin de 19e siècle. Après tout, écrivent-ils, donnez un ballon à des garçons sans aucune pratique préalable, ils ne feront pas mieux, hormis frapper plus fort ou courir plus vite.

 

 

Les British Ladies du Nord 

« Tommy » déclenche les passions, Nettie file à l’anglaise…

 

L’écho de l’événement résonne dans toute la Grande-Bretagne. On se bouscule alors pour accueillir le British Ladies FC qui se lance dans une tournée insensée, ponctuée de 34 matches de 60 minutes chacun en… 26 semaines (!), du nord de l’Écosse (où des femmes leur jettent des pierres) jusqu’en Irlande. L’effectif manque parfois, et on embauche sur place un ou deux hommes pour garder les cages et encaisser les buts… Les foules, également réparties entre les deux sexes, pointent à chaque rendez-vous, avec une moyenne de 5 000 spectateurs par match (8 000 à Newcastle, 6 000 à Manchester)… Si la qualité de jeu prête toujours autant le flanc aux critiques, l’unanimité prévaut sur la première star incontestable du football féminin : une petite ailière-buteuse de 13 ans, haute comme trois pommes, nommée « Daisy Allen » et fille de l’avant-centre Nellie Gilbert. Daisy est aussitôt rebaptisée par le public « Tommy », de par son allure générale. Certains la soupçonnent d’être un garçon. Les exploits de « Tommy » défraient la chronique tout au long de la tournée, on vient l’admirer et l’acclamer…

 

Les British Ladies du Sud 

 

Avant même la fin de cette première saison, Nettie Honeyball disparaît de la circulation. Cet évanouissement en pleine nature, sans la moindre trace laissée derrière elle, alimente encore un peu plus aujourd’hui sa légende et ouvre des spéculations sans fin sur la réalité de son existence. « Mrs Graham » (une suffragiste écossaise, Helen Matthews), gardienne de but et autre vedette de l’équipe, s’en va former son propre onze, The Original Lady Footballers… La scission est consommée, le ressort cassé, et en 1897 le football féminin semble déjà une affaire passée, un rêve enfui, égaré à jamais au fond du brouillard… Vingt ans s’écouleront avant que le flambeau ne soit repris du côté de Preston, Lancashire, par les légendaires Dick, Kerr’s Ladies… Mais ceci est une autre et merveilleuse histoire…

 

 

 

Crédits photos: donmouth.co.uk

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