Rédactrice d’un rapport avec l’IRIS et en partenariat avec l’UNESCO sur la «féminisation du football», sorti à la veille de la Coupe du Monde organisée en France, la chercheuse revient sur son étude quelques mois après la compétition.
FE : Comment vous est venue l’idée de réaliser une étude sur ce sujet et pourquoi ?
CG : Cela faisait plusieurs années que je travaillais avec l’IRIS sur ce thème-là, car on s’est bien rendus compte qu’il y avait un déficit à combler. Mais seuls on ne pouvait pas, il fallait qu’on s’allie avec d’autres personnes. L’UNESCO s’est montrée très intéressée ainsi que plusieurs entités sportives comme l’Union Nationale des Footballeurs Professionnels. On est donc partis sur l’idée de créer un rapport solide sur la question de la féminisation du football. Notre méthode a été double : on a d’abord commencé par faire un état des lieux de tous les articles et travaux qu’il existe sur le sujet. Puis on a mené des entretiens pour ouvrir le plus largement possible sur des personnes et des avis différents, on a essayé de toucher à plusieurs sports pour croiser les regards. On voulait savoir si la perception du sport féminin pouvait être différente en fonction de la spécialité, de la géographie, du rôle joué par la personne dans ce sport…
Le rapport contient une grosse partie sur la médiatisation des sportives que vous qualifiez de trop faible et trop stéréotypée. Que faudrait-il pour changer cela selon vous ?
C’est en effet une partie importante, car c’est par la médiatisation que les choses peuvent évoluer. Nous nous sommes appuyés sur les travaux de Nicolas Delorme, qui pense que des séminaires auprès des journalistes sportifs peuvent leur faire prendre conscience que leurs discours sur les sportives et leur façon de couvrir le sport féminin ont des conséquences. On a observé que des freins étaient présents dans les gros médias, notamment en TV et à la radio, mais qu’il y avait plein d’autres nouvelles idées qui bouillonnaient sur le sport féminin : des podcasts, des documentaires… C’est génial car on passe par d’autres chemins et on n’utilise pas les canaux habituels. Il est donc important de diversifier et de soutenir toutes ces nouvelles médiatisations. Mais je pense qu’il est nécessaire de ne pas se limiter seulement à des actions ponctuelles. Un reportage de temps en temps sur des footballeuses c’est bien mais ce n’est pas suffisant, il faut de la régularité. La médiatisation pendant cette Coupe du Monde a été excellente, mais on ne doit pas s’arrêter là, c’est maintenant qu’il faut être présents. Il faut réfléchir à comment on peut encourager cette médiatisation régulière.
Comment avez-vous trouvé la médiatisation de cette Coupe du Monde ?
Il est encore un peu tôt pour observer les résultats, on pourra avoir une vision plus exhaustive quand on aura les chiffres et qu’on verra les répercussions de cette médiatisation. Mais il y a eu un réel engouement. On a vu se développer beaucoup de podcasts, de documentaires sur les joueuses… C’est très bien car tout ça participe à la culture du football, et on s’est enfin rendus compte qu’il y avait une moitié de l’humanité qui en fait a des choses à apporter ! La médiatisation autour de certaines joueuses comme Megan Rapinoe a été une très bonne chose aussi, le fait qu’elle continue à parler même après être rentrée aux Etats-Unis, c’est super ! Donc pour moi il y a eu du positif, mais c’est perfectible. Organiser une compétition mondiale sur un mois c’est intéressant, mais pas essentiel pour le développement du football au féminin. Je pense que cet engouement et cette médiatisation ne se sont pas encore répercutés sur la vision qu’ont les gens de cette pratique. Mais c’est normal, il faut du temps. La médiatisation a été extrêmement encourageante, il y a eu un vrai intérêt, mais ce frémissement que nous avons ressenti pendant les mois de juin et juillet doit être pérennisé.
Pensez-vous qu’avec l’effet de cette Coupe du Monde on a pris conscience de l’importance de la féminisation du football ?
C’est pareil, il est trop tôt pour se prononcer. Il faudrait refaire une étude 2019+1. Pour voir si les objectifs ont été atteints, voire dépassés, si oui de combien, observer ce qui a marché et pourquoi etc… Là on se rendra compte de si les choses ont pris ou pas. Pour avoir un retour sur investissement, il faut d’abord qu’il y ait un investissement, que ce soit humain, financier… Il faut des vrais plans de stratégie. Cela passe par exemple par la formation d’encadrants.
Pourquoi cette dichotomie entre filles et garçons se retrouve plus dans le football que dans d’autres sports ?
Etant donné que l’on a travaillé que sur le football, je ne pourrais pas vous répondre précisément. Mais pour moi il y a déjà la question de la gouvernance des fédérations, et certaines fédérations d’autres sports ont compris qu’il fallait féminiser la pratique, plus que la fédération de football. Il y a également la question de la scolarité. Le basket, le hand, le volley sont des sports auxquels on joue à l’école, et à l’école c’est mixte. Donc la déconstruction du fait que ce sont des sports « masculins » a déjà été faite dans le cadre scolaire. On joue rarement au foot dans les écoles, donc cette déconstruction n’a pas pu être faite.
Votre analyse exposée dans le rapport a-t-elle évolué depuis la Coupe du Monde ?
Je pense qu’il reste toujours beaucoup à faire. La Coupe du Monde a permis de prouver qu’il y avait un réel intérêt pour la pratique féminine, elle a permis de susciter la curiosité. Les gens ont pu découvrir une toute autre histoire du foot. Mais quand on suscite une curiosité, il faut la satisfaire. Donc il faut continuer à produire et à réfléchir sur cette pratique, notamment via différents médias.
Qu’avez-vous pensé de cette compétition ( d’un point de vue communication, sportif… ) ?
Je trouve que la communication a commencé un peu tard et qu’on aurait pu faire mieux. Dans les villes qui n’étaient pas hôtes, certaines personnes ne savaient même pas que la France accueillait une telle compétition mondiale. D’un point de vue sportif, j’ai trouvé que c’était une compétition intéressante. Les matchs étaient assez équilibrés, il n’y a pas eu de score fleuve, sauf Etats-Unis/Thaïlande. Il y avait une réelle compétition entre les équipes, et on a pu voir une vraie progression des équipes qui étaient plus faibles auparavant. Je ne sais pas s’il y a eu un travail de formation dans certains pays, mais c’est très encourageant !
Que reste-t-il à faire selon vous pour poursuivre le développement de la pratique féminine du football ?
C’est ambitieux comme question ! *rire* Pour moi la question de la médiatisation est vraiment la pierre angulaire du développement de cette pratique. En médiatisant, on attire les petites filles vers le football, on les fidélise et on crée une dynamique autour de ce sport. Mais ça ne fait pas tout, surtout si la médiatisation n’est pas de qualité. Il y a aussi un gros enjeu en terme de connaissances. Par exemple, aujourd’hui il est impossible de trouver combien il y a de licenciées dans le monde. Si on veut imaginer le football de demain, il faut savoir d’où on part. Sauf que quand on cherche des données, on ne les trouve pas ! Il y a beaucoup de projets menés, mais il faut encore plus de recherches, d’études… Pourquoi pas aussi une collaboration entre différents médias pour quadriller cette méconnaissance de la pratique féminine. Il faut aussi des structures adaptées et des personnes formées pour accueillir ces petites filles. Je pense qu’il y a aussi encore un gros travail à faire en terme de lutte contre les préjugés. Il y a encore trop de remarques homophobes ou lesbophobes par exemple, qui ne devraient plus être acceptées. Et cela passe par la qualité de la médiatisation, mais aussi par la sensibilisation et l’éducation. C’est un chantier qui doit se co-construire. Les entités sportives, les médias, les gens lambda, on a tous des solutions et des idées et on doit encourager ce développement. Il y a tellement de freins à l’égalité dans le football que si tout le monde ne met pas la main à la pâte, on sera toujours au même point dans 5 ans !
Avez-vous d’autres projets, d’autres études que vous aimeriez mener ?
Bien sûr, cette étude n’était pas un point final, c’était juste une petite pierre à l’édifice. Mais l’important c’est savoir ce qui va se faire maintenant et l’héritage que l’on va garder de cette Coupe du Monde. Donc oui on va continuer à travailler, car de toute façon, la répétition est la mère de l’apprentissage !