Ancien journaliste de la maison Foot d’Elles, Thibault Rabeux publie son premier livre « Football féminin : les Coupes du monde officieuses ». Un ouvrage dédié aux Mondiaux féminins non reconnus par la FIFA disputés entre les années soixante-dix et quatre-vingt. L’occasion de revenir sur des tournois aussi exceptionnels que méconnus, mais aussi de mettre en lumière le long combat mené principalement par des femmes afin d’obtenir le droit de disputer les mêmes compétitions que les hommes.
Soixante-et-un ans séparent deux Coupes du monde organisées par la Fédération internationale de football (FIFA). La première remonte à 1930 en Uruguay et opposait treize équipes masculines. La seconde, bien plus tardive, fut jouée en Chine en 1991 et mit aux prises douze équipes féminines. Il aura donc fallu attendre six décennies pour voir la FIFA offrir aux femmes un tournoi identique à celui disputé par les hommes depuis les années trente.
Comme souvent en matière de droits et de privilèges, les femmes ont dû batailler pour être l’égales de leurs homologues masculins. Sans surprise, le premier Mondial chinois féminin disputé en 1991 n’est pas sorti du chapeau de la FIFA par magie. Un processus long de plus de vingt ans s’est écoulé entre les balbutiements d’une Coupe du monde féminine et son aboutissement.
Les premières esquisses d’un Mondial féminin
Entre la fin des années soixante et le début des années soixante-dix, des hommes d’affaires italiens en rien affiliés au monde du ballon rond flairent le bon filon avec le football féminin. Ces businessmen quelque peu véreux fondent en 1968 la Federazione Italiana de calcio femminile (FICF) qui deviendra en 1970 la Fédération internationale et européenne de football féminin (FIEFF). En quatre ans, entre 1968 et 1972, la FIEFF organise trois compétitions majeures pour les femmes : un premier championnat d’Europe non-reconnu par l’UEFA en 1969 ; ainsi que deux Coupes du monde non reconnues par la FIFA en 1970 et 1971. Bien que certains tirages au sort furent truqués pour permettre aux nations favorites de se retrouver en finale et ainsi générer plus de bénéfices – d’où le qualificatif de « véreux » employé précédemment – certaines de ces compétitions officieuses ont marqué l’histoire de la discipline. La finale du Mondial 1971 au Mexique entre le Danemark et le Mexique rassembla notamment 110 000 spectateurs au Stade Azteca de Mexico. A l’orée de la Coupe du monde 2019 en France, ce record d’affluence pour un match de football féminin reste inégalé.
Une ferveur à échelle planétaire
Le relatif engouement pour le football féminin se propage jusqu’en Asie. Là-bas, des femmes issues de classes sociales élevées s’unissent pour former l’Asian Ladies Football Conderation (ALFC). L’objectif de cette nouvelle organisation indépendante est clair : faire disputer aux femmes les mêmes compétitions que les hommes. A l’époque, si la fédération nationale de football d’un pays quelconque n’a pas reconnu officiellement le football féminin, les footballeuses ne bénéficient d’aucun type de soutien. Elles ne peuvent pas non plus espérer participer à une compétition officiellement reconnue par l’instance principale du football mondial, la FIFA. Cette dernière et les fédérations masculines possèdent par conséquent une sorte de droit de vie et de mort sur les organismes indépendants souhaitant promouvoir le football féminin. Un frein qui n’empêche pas l’ALFC de mettre sur pied des tournois « pirates » tels que des Coupes d’Asie des nations féminines ou des similis Coupes du monde. Celles-ci portent le nom de Women’s World Invitational Tournament et réunissent tous les trois ans à partir de 1978 des équipes venues du monde entier. Le Stade de Reims participe à la première édition à Taipei en 1978 ; le FC Vendenheim prend part à la seconde en 1981.
Ellen Wille et le déclic de la FIFA
Ces tournois remportent un franc succès à travers le monde et prouvent aux instances masculines que le football féminin peut passionner les foules. Au delà de l’intérêt suscité par la discipline, la FIFA voit d’un mauvais œil l’importance prise par certaines organisations indépendantes – et donc hors de contrôle – comme l’ALFC. Dans l’ouvrage « FIFA 1904 – 2004 : le siècle du football » présenté comme étant le « premier et unique ouvrage officiel de la FIFA sur l’histoire et l’impact du football dans la société », nous pouvons y lire l’extrait suivant :
Devant les pressions exercées par l’ALFC pour fonder une organisation internationale au début des années quatre-vingt, la FIFA finit par prendre le football féminin au sérieux et même souhaiter son développement. Le comité exécutif propose que la FIFA organise un tournoi international ne serait-ce que pour montrer qu’il contrôle tout le football.
L’étau se resserre encore un peu plus sur la Fédération internationale lorsqu’en 1986, la Norvégienne Ellen Wille se distingue lors du 45e congrès annuel de la FIFA. Celle qui est
désormais surnommée « la mère du football féminin norvégien » dans son pays déplore l’absence totale d’une quelconque mention du football féminin dans le dernier rapport annuel de la FIFA. Ellen Wille dresse son constat devant 150 hommes dont le président de l’époque João Havelange ainsi que le secrétaire général Joseph S. Blatter. A noter qu’elle fut la toute première femme à prendre la parole lors d’un congrès de la FIFA qui se tient pourtant annuellement depuis 1904…
Le coup de gueule d’Ellen Wille ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd. Le président de la FIFA João Havelange prend la décision d’organiser un Mondial « test » en 1988 de façon à « évaluer la viabilité d’une future Coupe du monde féminine ». Un tournoi expérimental disputé en Chine qui s’avéra concluant puisque trois ans plus tard, en 1991, la FIFA organisa la première Coupe du monde féminine officielle de football.
Pour aller plus loin : le long processus ayant mené à la création de la première Coupe du monde féminine organisée par la FIFA est à retrouver en détails dans le livre de Thibault Rabeux « Football féminin : les Coupes du monde officieuses ». Vous y découvrirez les incroyables récits des différentes compétitions officieuses disputées par les femmes entre les années soixante-dix et quatre-vingt. Des récits rendus possibles grâce aux témoignages inédits de nombreuses joueuses françaises et étrangères ayant participé à ces compétitions « pirates ». Sacre mondial du Stade de Reims en 1978, origine de la création de l’équipe américaine à l’occasion d’un tournoi officieux, récit de la finale Danemark – Mexique devant 110 000 spectateurs… Amoureux d’histoire du sport et de foot féminin ? Ce livre est fait pour vous !
« Football féminin : les Coupes du monde officieuses » par Thibault Rabeux. Disponible en version numérique et brochée sur Amazon. (cliquez ici)