Tyresö FF : Chronique d’une mort annoncée ?

Toute la Suède du football féminin ne parle que de ça : le Tyresö FF, club de la Brésilienne Marta et de l’Espagnole Boquete, champion national il y a un peu plus d’un an, est très sérieusement menacé de disparition de la Damallsvenskan, et même du paysage footballistique tout court… Ou comment des ambitions démesurées et mal maîtrisées mènent à la catastrophe…

 

 

 

Il y a moins d’un an et demi, l’équipe de Tyresö coiffait Malmö sur sa pelouse à l’ultime journée de Damallsvenskan (0-1) et remportait le premier titre de son histoire, que même les légendes états-uniennes Michelle Ackers et Kristin Lilly n’avaient pu décrocher lors de leur passage dans la banlieue de Stockholm… Le succès, planifié dès 2005, ne devait constituer que le premier étage d’une fusée menant à une victoire européenne en 2014… À l’approche de cette échéance — Tyresö est toujours en course dans la compétition et s’apprête à affronter les Autrichiennes du SV Neulengbach en quart de finale —, un tout autre scénario se profile à l’horizon.  Beaucoup moins plaisant et, pour tout dire, sans doute assez dramatique. Celui d’une fort possible relégation du club en deuxième division, voire sa disparition pure et simple…

 

Une politique (trop ?) ambitieuse

 

Mais opérons un petit retour en arrière.  Fin 2005 donc, le directeur sportif du Tyresö FF, Hans Lögfren (aujourd’hui âgé de 48 ans et PDG de Stockholm Business Work), mû par une sorte de révélation subite, décide de faire de son club le meilleur au monde, et à vitesse grand V. L’équipe vient d’être reléguée en 4e division. Objectif : Le titre national en 2012, et la Ligue des Championnes en 2014. Il retrouve la D3 l’année suivante, puis la D2 en 2008 où il végète deux saisons, avant d’accéder enfin à l’élite, dix ans après l’avoir quittée. L’effectif subit moult chamboulements (plus de 40 joueuses en 4 ans), des filles ayant atteint leur plateau de compétence à chaque ascension devant être remplacées… L’équipe termine ses deux premières saisons en Damallsvenskan à la 4e place, puis on en arrive au recrutement massif qui va déboucher sur le titre de 2012. Premier objectif atteint. Hans Lögfren s’appuie sur un réseau de petites et moyennes entreprises locales (épicerie de centre commercial, studio photo, fleuriste, etc.), se démène comme un beau diable, paie de sa personne, mais se fait surnommer « Hasse portefeuille » pour sa politique de dépense budgétaire tous azimuts que ses « petits » sponsors sont loin de compenser…

 

Le club se donne une image positive avec sa participation active à une campagne de l’ONU pour la protection des femmes, mais Hans Lögfren se fait attraper avec une prostituée. En Suède, pays empreint d’un moralisme assez rigide et où le recours aux services d’une travailleuse du sexe est puni par la loi, on ne plaisante pas avec ça, et le scandale est grand. Lögfren est condamné à une amende, fait la une des journaux, et doit quitter ses fonctions, malgré le soutien (plus ou moins) de la capitaine Caroline Seger qui veut n’y voir qu’une affaire privée. Mais son retrait n’est que formel, pour ne pas dire factice, l’homme restant dans l’ombre et tirant les ficelles.

 

 

 

 

2013, année de tous les excès

 

C’est alors que tout s’emballe. La folie des grandeurs s’empare du club. Aux Marta, Boquete ou Seger, viennent s’adjoindre pas moins de cinq joueuses états-uniennes (Krieger, Harris, Engen, Press, Klingenberg), une autre Espagnole, Jennifer Hermoso, la pépite norvégienne Caroline Hansen… Tout cela à coups de millions de couronnes,  l’équipe étant entièrement professionnelle. Il s’avère vite que les sponsors, insuffisants, et encore moins la fréquentation au stade (l’accueil du Tyresövallen se limite à 2700 spectateurs), ne peuvent subvenir aux salaires des stars : 19.000 euros mensuels pour Marta  et Boquete, près de 8.000 pour Seger, un peu moins de 9.000 pour l’entraîneur Tony Gustavsson.

 

Résultat à l’arrivée : le titre perdu (Tyresö termine 2e derrière Malmö) et autour de  8 millions de couronnes suédoises de dettes, sans cesse en augmentation, soit environ 1 M d’euros. Même si le chiffre peut sembler dérisoire au vu des sommes astronomiques générées par le football… masculin, il reste énorme chez les filles.  Pour donner un ordre d’idée,  il correspond à peu près au triple du budget annuel d’un club comme Juvisy… Il est clair que Tyresö a vécu et vit encore très largement au-dessus de ses moyens et n’est ni le premier ni le dernier à se retrouver en grandes difficultés financières. La saison dernière, le FCR 2001 Duisburg, monument historique de Bundesliga et ex-champion d’Europe, est passé à un chouia de la faillite, a vendu (une fois de plus) ses meilleures joueuses, et a intégré le club masculin du MSV Duisburg afin de survivre… Le LDB FC Malmö lui-même, chancelant, est allé se réfugier dans les bras du FC Rosengård…

 

 

L’aide de l’État critiquée

 

Devant la situation plus que critique, l’État a décidé de garantir un certain nombre de paiements, à commencer par les salaires (représentant un montant total supérieur à 100.000 €mensuels), ce qui rend furieux les contribuables et… les autres clubs qui y voient une sorte de concurrence déloyale au regard des efforts déployés à maîtriser leurs propres budgets. Ainsi de l’entraîneur de Vittsjö, qui évoque un « dopage économique ». Mais cette garantie gouvernementale, qui s’inscrit dans un plan de reconstruction financier du club dont la date butoir est fixée à septembre 2014, ne suffira cependant pas à assurer le versement des plus gros salaires sur plusieurs mois… Tyresö est en quelque sorte sous assistance respiratoire… Les observateurs ne cachent pas leur scepticisme au sujet de cette « reconstruction », qui s’apparente davantage à une tentative de redressement judiciaire suivant une faillite qu’à une vraie relance. Les discours du club se veulent optimistes, tel celui assénée par Caroline Seger. Mais tout ça sonne comme une bonne vielle méthode Coué. Même en cas de réussite, le club a de fortes chances d’être relégué. Si échec il y a, ce sera l’équivalent d’une liquidation judiciaire, et la disparition du Tyresö FF… On n’en est pas là, mais la possibilité ne peut être exclue. Mauvais signe : à l’inverse de ce qui s’était produit en Allemagne pour Duisbourg, personne ne semble prêt à se solidariser avec Tyresö, et encore moins voler à son secours…

 

 

 

 

Le championnat de Damallsvenskan 2014 débute dans un mois. Les tombeuses du PSG en LdC seront sur la ligne de départ. Questions : franchiront-elles la ligne d’arrivée ? Ou seront-elles reléguées bien avant en deuxième division ? Gagneront-elles la LdC avant de sombrer définitivement ? Quand ses meilleures joueuses partiront-elles ? Enfin… celles encore présentes. Caroline Hansen est rentrée à Stabaek (Norvège) poursuivre ses études, Hermoso a rejoint le Barça, Van der Ven a filé à Rosengård/Malmö, les États-Uniennes restantes (Press, Engen, Klingenberg) s’envoleront dès la LdC terminée en mai (victoire finale ou élimination)… Le club a plus ou moins compensé avec le recrutement de quatre Brésiliennes, dont Fabiana (près de 8.000 € en salaire pour elle, 3.500 pour les autres), ainsi que de la gardienne internationale finlandaise Korpela. Un goût de fuite en avant désespérée… ou d’inconscience têtue.

Les départs de Marta, Boquete, Seger, dont les contrats expirent en juin prochain ne font guère de doute.

Une telle situation ne manquera certainement pas d’aiguiser les appétits des clubs les plus riches du football féminin mondial, qu’ils soient déjà installés (Lyon, Francfort) ou nouveaux (PSG, Manchester City, Liverpool,  Wolfsburg, Seattle, Portland).

 

La disparition de Tyresö du paysage de Damallsvenskan laisserait derrière elle le goût bien amer d’une trop folle ambition… et un avertissement sans frais pour certains autres clubs…

 

 

 

Crédits photos : tyresoff.se, damfotboll.com, eurosport.se

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