Selma Bacha, une merveilleuse histoire du temps

En avance sur tout et (presque) partout, la latérale de l’Olympique Lyonnais et de l’équipe de France U20, qui s’apprête à affronter pour la deuxième fois les Etats-Unis ce mardi (15h00), n’en finit plus d’étonner. Grâce à un caractère détonnant et une aisance qui surprend, à seulement 17 ans.

Selma Bacha est une fille impressionnante. On ne parle pas ici de son talent sur les terrains, mais plutôt du sentiment qu’elle vous laisse après une première rencontre. Dynamique, souriante, bien élevée, mais surtout- et c’est ce qui peut surprendre le plus –une maturité qu’on ne lui attend pas forcément à 17 ans. Est-ce dû, également, à tout le chemin qu’elle a déjà parcouru à son âge, quand ses semblables en sont parfois à des années lumières ? Car on connaît peu (voire pas) de joueuses nées en 2000 qui ont déjà disputé autant de matches en D1 (6) au sein d’un effectif 11 fois champion de France en titre, mais aussi en Ligue des Champions (3), tout cela en ayant signé, au début de la saison, un contrat professionnel de quatre ans dans la plus grande institution de foot pratiqué par les femmes du moment. « Je ne m’attendais pas à jouer autant, c’est vrai, reconnaît Selma Bacha lorsqu’on lui pose la question. Quand j’ai signé mon contrat pro (en juillet dernier, NDLR), je devais m’entraîner avec le groupe pro dans la semaine, et revenir le week-end avec les U19. J’ai profité d’une blessure pour être dans le groupe, le coach m’a donné sa confiance, j’ai eu ma chance, et puis c’était parti ! », s’enthousiasme la joueuse.

« Dans le foot, j’aime cette agressivité, la compétition »

« On ne compte même plus sur elle le week-end pour jouer avec nos U19 parce qu’on sait que Reynald Pedros l’intègre entièrement dans son groupe. Elle était tellement en avance sur les autres, en terme de potentiel, qu’il n’y aurait pas eu d’intérêt sportif à la garder avec les jeunes. En plus elle se serait ennuyée ! », explique Sonia Bompastor, qui a suivi la progression de cette native de la région lyonnaise, puisque responsable du centre de formation de l’OL. L’histoire de Selma Bacha commence il y a un peu moins de 18 ans, dans le quartier de la Grange Blanche à Lyon. Un coin tranquille où elle est initiée au foot par son frère dès l’âge de 4 ans. « Il faut savoir que lorsque j’étais petite, j’aimais beaucoup courir, raconte la joueuse d’un ton posé. J’ai essayé, j’ai bien aimé, et du coup mon père m’a inscrit au foot, et je n’ai plus jamais lâché ce sport. C’est devenu ma passion », affirme-t-elle. « J’aime cette agressivité, la compétition, ça correspondait à mes valeurs et du coup c’était parfait pour se lancer », rajoute Selma Bacha, qui n’évolue qu’une saison au FC Gerland avant d’être repérée par l’OL, et d’y entrer dès 2009. Au sein de l’un des rares centres de pré-formation (avant 15 ans) de l’Hexagone, la joueuse doit d’abord s’adapter à un rythme de vie différent de celui de la plupart des filles de son âge : « On avait l’école toute la journée, puis le foot. On rentrait tard, et le temps de se doucher, de faire les devoirs, de manger, de dormir… Il fallait s’adapter au rythme ! », rembobine celle qui a bien réussi ce pari.

Talent, colère et U20

Très vite, son talent balle au pied tape dans les yeux des recruteurs, et donc de la patronne des futures jeunespousses de Lyon, Sonia Bompastor, qui arrive dès la fin de sa carrière en 2013. « Sur le plan footballistique et du potentiel, elle était au-dessus de la moyenne du groupe », raconte l’ex-internationale, qui crée très vite une relation particulière avec sa cadette de 20 ans. « C’est une joueuse qui est une super compétitrice, comme je pouvais l’être du temps où je jouais. Du coup il y avait des moments où on avait du mal à la canaliser, parce qu’elle avait tellement la niaque, l’envie de faire un résultat, qu’elle pouvait sortir d’une séance et avoir des gestes d’humeur. On s’est souvent accrochées, mais à l’heure d’aujourd’hui je pense qu’elle a compris l’intérêt, de mon côté, d’agir de la sorte. J’ai toujours dit que lorsqu’une joueuse est au-dessus du lot sur le plan sportif, elle devait être encore plus exemplaire que les autres ». Ce caractère parfois ronchon, « ça fait partie du personnage, c’est un ensemble ! Sans ça ce ne serait pas Selma Bacha ! », en sourit sa partenaire, amie, et même « grande sœur » comme elle le dit, Emelyne Laurent, arrivée cette saison dans le Rhône et qui l’accompagne actuellement avec les U20 en Bretagne.

« Elle est très à l’aise à Lyon, même avec certaines cadres »

Car évidemment, les performances de Bacha ont tapé dans l’œil de Gilles Eyquem, le sélectionneur des Espoirs, qui la convoque régulièrement depuis la fin de l’année 2017, après deux années partagées entre les U16 et les U17. « Je ne m’attendais pas à être en U20 parce qu’il y a beaucoup de joueuses de qualité, précise celle qui est allée chercher la 3e place aux championnats d’Europe U17 l’an passé. Je suis très fière de me battre pour mon pays, et la Coupe du Monde j’ai hâte d’y être, comme tout le monde », raconte-t-elle à propos de cet été. Des objectifs qui ne l’empêchent pas d’afficher une joie de vivre et surtout une décontraction qu’on attend pas forcément, surtout dans les vestiaires de l’OL, remplis d’internationales (Van de Sanden, Hegerberg, Bronze, Buchanan, Kumagai) et de joueuses expérimentées (Abily, Le Sommer, Bouhaddi, Henry, Renard). « Elle est très à l’aise, même avec certaines cadres. Elle a toujours été, je pense depuis qu’elle est jeune, importante dans son groupe par rapport à la prise de parole, parce que c’est une boute-en-train. Elle n’a honte de rien, elle n’est pas du tout timide, et ça facilite les choses », racont le sourire aux lèvres Corine Petit, qui apprécie beaucoup sa cadette.

Fan et protégée d’Amel Majri

« On essaye de l’aider sur certaines choses. Au départ elle n’était pas spécialement dans la demande mais c’est vrai que quand on lui dit des choses, elle est à l’écoute, et elle essaye de faire attention à ce qu’on lui dit, donc par rapport à ça c’est une bonne petite », décrypte la milieu de terrain, au club depuis 2008. La principale intéressée, qui évoluait à la base en tant que milieu gauche, et parfois en 6, écoute surtout son modèle depuis toute petite : Amel Majri. « Elle me donne beaucoup de conseils, c’est une joueuse que j’apprécie vraiment. Elle est toujours là dans les bons comme dans les mauvais moments. Avant qu’elle parte aux Etats-Unis (pour la SheBelieves Cup, NDLR), elle m’a envoyé un message ! Elle me dit toujours d’être une combattante, de saisir ma chance quand je joue pour être dans le groupe pro, et de jouer comme je sais le faire, sans stresser, mais surtout d’oser, de tenter ! », explique Bacha.

Confrontée aux exigences tactiques du poste de latérale

Car le poste de latérale est un des plus exigeants tactiquement dans le foot- ce n’est pas Marion Torrent qui dira lecontraire. « C’est surtout au niveau de l’intelligence de jeu où on a essayé de la faire progresser le plus, et c’est là où elle a le plus évolué. Elle a pris en maturité, et du coup il y a des erreurs qu’elle ne fait plus », insiste Bompastor. « J’ai beaucoup discuté avec Sonia, qui me donnait beaucoup de conseil du fait de son expérience en tant que latérale gauche, confirme la joueuse. Vu que je m’entraîne et que je joue plus avec les pros, je fais très attention. Wendie Renard me donne des astuces aussi, du coup ça m’aide forcément à progresser ». Chouchou du groupe, Selma Bacha ? En tout cas, même le coach Reynald Pedros y va de son attention : « A chaque match il vient me voir pour me dire « Pas de pression, joue comme tu sais le faire et ça va aller ». C’est un très bon coach », estime Bacha, qui continue de gérer le foot et les études de front.

« La Coupe du Monde 2019, c’est un rêve ! »

Le bac STMG (sciences et technologies du management et de la gestion) arrive effectivement dans un peu plus de 100 jours pour elle. D’où des journées qui se résument généralement ainsi : « Je vais à l’entraînement avec Griedge M’Bock, qui m’emmène parce qu’elle habite à côté. A 12h on finit l’entraînement, à 12h20 il faut que je sois sortie pour qu’on puisse m’emmener à Meyzieu. Je mange là-bas puis je commence les cours à 13h30, jusqu’à 17h », déroule celle qui repart ensuite au centre de formation pour y effectuer une heure et demie de cours supplémentaire en vue du Graal. « C’est très difficile, on est sur un rythme où il ne faut pas lâcher, je m’accroche et moi quand je me fixe un objectif, je travaille pour aller au bout », dit-elle pleine d’aplomb. Un caractère qui explique aussi la rapidité de sa progression : « Un de ses points forts c’est que sur le terrain elle est toujours à fond, estime Corine Petit. Elle a beaucoup de peps et d’envie, et c’est souvent là que ça se joue dans le passage des jeunes parce que j’en ai vu beaucoup venir. Il y en a qui sont un peu au-dessus dans leur catégorie d’âge, mais quand elles arrivent chez nous on ne les voit pas spécialement, parce qu’elles sont trop inhibées. Elle a une très bonne qualité de centre. Elle les tire un peu enroulés, comme certains garçons peuvent le faire, et c’est très intéressant », conclu la Lyonnaise.

Une revanche à prendre contre les USA

Une maturité dans le jeu qui s’accompagne presque à chaque fois d’un sourire, malgré ses sautes d’humeur donc. «Là on est dans la même chambre, donc je peux vous dire que c’est compliqué ! On s’ambiance bien », s’esclaffait Emelyne Laurent jeudi, quelques heures après l’arrivée des U20 à Vannes, où les Bleuettes affrontaient les USA le lendemain. Un match dominé par les tricolores qui s’est soldé par une défaite rageante (0-1). « J’espère qu’on va faire de bonnes choses parce qu’on a un groupe de qualité. Et ce n’est pas pour nous vanter, mais on peut faire quelque chose de beau », nous confiait Selma Bacha la veille, à propos de la Coupe du Monde U20 cet été. Avec, déjà dans un coin de la tête, l’envie de participer à celle des grandes, l’année prochaine. « Ça c’est un de mes objectifs, c’est un rêve ! », confie le prodige français, qui voit toujours plus loin. Pour continuer de défier l’espace et le temps.

 

Tous propos recueillis par Vincent Roussel

Crédits photos : FFF / Women’s Sport Gallery / Ligue de Bretagne / Twitter OL / OLweb.fr

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