Sarah M’Barek : « Une vraie passionnée »

Depuis quatre ans à la tête de l’En Avant Guingamp, l’ancienne Montpelliéraine revient, entre autres, sur son enracinement en Bretagne, sa façon de gérer un effectif, et sa volonté de rapprochement avec le football masculin et sa vie de femme. Des révélations sur cette technicienne pétillante et forcément attachante avant l’entame de la 3ème journée de D1, où l’EAG se déplace sur la pelouse de Rodez.

 

 

En 2013, en arrivant à Guingamp, vous déclariez : « Le club est en accord avec mes valeurs », qu’entendiez-vous par là ?

S.M. : << Tout simplement, Guingamp est un club familial qui fait confiance aux jeunes, qui a pour ambition d’en former. Et puis, la direction de l’En Avant veut surtout construire quelque chose de stable et de durable.

 

Le travail de la formation guingampaise, c’est essentiel pour rester au top ?

– Quand on n’a pas le budget de Lyon ou de Paris, c’est essentiel ! Et, jusque là, ça ne fonctionne pas trop mal. Donc, ça permet de se maintenir en Division 1 en tous cas, même s’il faut rester vigilant et se remettre en cause chaque saison.

 

Pouvez-vous me parler de l’Académie dédiée à la section féminine ?

– Cela fait un moment que l’on a une équipe U19, engagée chez les Nationaux, qui est installée sur Saint-Brieuc, au lycée Sacré-Cœur. Depuis l’année dernière, nous avons aussi des joueuses au collège. Ça permet d’avoir des équipes qui s’entraînent tous les jours, concernant des jeunes filles de 14 à 19 ans. On a aussi une école de foot, avec des gamines de 7 à 13 ans. Au total, en comptant l’effectif de la D1, nous recensons une centaine de licenciées à Guingamp.

 

L’En Avant, en terme de résultats, est d’une grande régularité depuis votre arrivée il y a quatre ans, entre la 5e et la 6e place du championnat. Que lui manque-t-il encore pour passer un cap et viser un podium éventuel ?

– Il nous manque certainement la culture de la gagne. Quand je suis arrivée, là où il y avait du retard, c’était au niveau des résultats. En Bretagne, les filles aiment le beau jeu, mais pas forcément la compétition. En tout cas, pas suffisamment, à mon goût. Aujourd’hui, les U19 ont pris l’habitude d’empiler les résultats dans la colonne “victoires“ et, quand elles arrivent en équipe première, c’est plus facile. Au cours de ces dernières années, on a essayé de leur inculquer ça. C’est un état d’esprit qu’il faut cultiver en permanence. Ce n’est pas encore le top du top. Malgré tout, c’est vrai que, désormais, les filles comprennent que, même si elles jouent mal ou moins bien, il y a moyen de remporter un match. Même en proposant un jeu moins léché. Bien joué, c’est bien, mais on peut aussi prendre du plaisir à travers la compétition, sans pour autant réaliser des prestations de folie à chaque fois. On fait notamment des jeux à l’entraînement où il faut absolument gagner. Ça paraît évident de prime abord, mais ça se travaille.

 

« Pour progresser, il faut jouer le week-end. Ici, c’est le cas ! »

 

Comment jugez-vous votre mercato, relativement calme dans les Côtes-d’Armor cet été ?

– D’abord, on ne voulait pas tout chambouler à l’intersaison. Nous possédons des jeunes sous contrats à moyen terme. Certains peuvent aller jusqu’à quatre ans, donc si on laisse la place à ces joueuses, c’est pour les titulariser, pas pour les laisser végéter sur le banc. La volonté était de conserver, en effet, une certaine stabilité. Après, forcément, quand on a des départs, ou quand on détecte des manques sur un ou plusieurs postes, il faut tenter de recruter des joueuses d’expérience. Et ce n’est pas toujours évident nous concernant… Mais nous sommes quand même parvenus à attirer une gardienne de haut niveau, Solène Durand, et puis une Camerounaise, Claudine Fallone. C’est une belle surprise… Je l’avais eue à l’essai, dès le début de la préparation cet été. Elle est polyvalente et se montre déjà au niveau, alors qu’elle n’avait jamais joué en D1. En plus, elle est mature : on en avait besoin.

 

Comment décider une joueuse qui hésite à venir à Guingamp ?

– Ce qui est sûr, ce n’est avec l’argent que nous les attirons (rire)… J’insiste surtout sur l’état d’esprit du groupe, parce que notre effectif réunit de vraies bosseuses. Les filles s’entendent super bien ! C’est un groupe qui vit bien ensemble, donc on insiste beaucoup sur ce point. On insiste aussi sur le fait que, si elles viennent chez nous, elles auront du temps de jeu, parce que le groupe n’est pas trop étoffé. On tourne entre 22 et 24 joueuses dans la saison. Pour progresser, il faut jouer le week-end et, dans un club comme le nôtre, ce sera le cas. Ça permet d’avoir une certaine visibilité si certaines ont, par exemple, des objectifs internationaux. On est aussi sur un double projet : on leur permet, à côté du football, soit de continuer leurs études ou de suivre des formations, soit d’avoir un boulot à côté… L’évolution professionnelle, ce n’est pas négligeable, pour le jour où l’heure de la retraite aura sonné sur le terrain.

 

En terme de structures, en quatre saisons, y a-t-il eu des progrès dans les conditions d’entraînements ?

– C’est un domaine dans lequel on a encore beaucoup de progrès à faire. On a déjà avancé, mais on est loin d’avoir bouclé toutes les étapes dans ce domaine-là. Nous, on est basés sur Saint-Brieuc, ce n’est pas évident pour la cohésion du club. Il y a la concurrence sur place du Stade Briochin. Le projet en vue de l’année prochaine, ce serait de trouver un terrain privé pour la section féminine. J’espère que ça pourra se concrétiser dans les prochains mois…

 

Sentez-vous votre président, Bertrand Desplat, à l’écoute de vos doléances ?

– Oui, on se voit régulièrement, encore plus ces dernières semaines, à ma demande. Le football féminin est en train d’évoluer dans le bon sens et les autres clubs bougent beaucoup. Donc, il s’agit de ne pas rester à la traîne. Il faut absolument rester accrocher aux wagons. On a eu beaucoup d’échanges dernièrement pour clarifier les domaines dans lesquels il fallait continuer à avancer. On a aussi une personne essentielle dans notre section, puisque nous avons une manager générale, Marlène Bouedec, à Guingamp. Ça permet de faire aussi le relais entre le sportif et l’administratif.

 

« Antoine Kombouaré a promis qu’il viendrait voir un de nos matches »

 

Avez-vous aussi des échanges avec la section masculine ?

– Jusqu’à présent, il n’y en avait pas beaucoup, c’était assez cloisonné. C’est l’une des demandes que l’on a pu faire en ce début de saison. Ça commence à se mettre en place : on va, par exemple, avoir des repas organisés avec les éducateurs du centre de formation. De notre côté, on va voir tous les matches des pros au Roudourou. Il y a la distance qui nous coupe un peu, mais on a demandé à pouvoir échanger, faire des choses en commun pour appartenir vraiment au club. Ce n’est pas anodin : il faut pouvoir se nourrir de ces échanges-là pour pouvoir avancer. C’est formateur.

 

De votre côté, avez-vous des entretiens réguliers avec Antoine Kombouaré ?

– J’en eu quelques-uns par le biais de mon DEPF passé l’année dernière. J’allais notamment entraîner la CFA masculine. J’étais proche aussi de Coco Michel qui était mon moniteur. Oui, j’avais quelques échanges avec Antoine mais, avec nos programmes respectifs, ce n’est pas évident de trouver le temps nécessaire. Par contre, je sais qu’il est très sensible au développement et aux résultats de la section féminine. Il nous a promis qu’à l’occasion, il viendrait voir un de nos matches. On l’attend avec impatience !

 

En terme de coaching, quel est votre modèle ?

– J’aime beaucoup ce que fait et ce que représente Carlo Ancelotti. C’est la classe ! J’aime bien sa façon de manager. Justement, j’ai commencé son livre pour me rendre compte qui il est vraiment. Mais c’est vrai que c’est un personnage qui m’inspire pas mal.

 

Un mot sur Loulou Nicollin qui vous a mis le pied à l’étrier : sa disparition a dû vous toucher ?

– (Silence)… Ça m’a beaucoup affectée ! En plus, j’étais en vacances quand il est parti. Je n’ai pas pu me rendre à ses obsèques, parce que j’étais loin. Ça a été compliqué à gérer dans ma tête. Le football français lui doit beaucoup, le foot féminin aussi, en particulier. Je n’oublierai jamais ce qu’il a fait pour moi. En plus, je l’ai eu au téléphone durant ce mois de juin. Il m’a appelé pour me féliciter quand il a su que j’avais décroché mon diplôme. J’étais très émue… Mais, bon, il est parti comme il a vécu. C’est tout un symbole qu’il disparaisse le jour de son anniversaire, entouré des siens. C’est un joli signe du destin !

 

« Par réflexe, pour me protéger, j’étais dans l’autorité stricte »

 

Vous aviez reconnu avoir eu des débuts difficiles sur le banc à Montpellier. Pour quelles raisons ?

– Parce que, en une année, je suis de passé de joueuse à entraîneur. Du coup, il y avait pas mal de filles avec lesquelles j’avais évoluées encore dans le groupe. Ce n’était pas forcément évident pour elles de mettre des limites. En tout cas, me concernant, c’était indispensable, mais c’est vrai que c’était loin d’être simple. C’était ma première expérience du haut niveau sur un banc, je n’avais pas suffisamment le recul de maintenant pour appréhender les événements. Par réflexe, pour me protéger, j’étais plus dans l’autorité stricte afin d’imposer les choses. Ce que je ne fais plus du tout aujourd’hui ! En plus, on est d’une génération où on disait tout le temps : « Se faire diriger par une femme, c’est pas génial ! ». Le fait de passer de l’autre côté de la barrière a pas mal bousculé mes anciennes collègues de l’époque. Heureusement, ça a bien évolué de ce côté-là…

 

Le regard des joueuses vers le banc, quand une femme y est installée, n’est-il plus du tout le même ?

– Les joueuses sont beaucoup plus respectueuses. Et, surtout, il y a beaucoup moins de crainte en terme de compétences. Les filles ne se posent plus la question… Dans les mentalités, c’est presque normal désormais, parce que, lorsqu’elles sont petites, elles ont de plus en plus d’éducatrices qui les entourent. Ça devient naturel. De notre côté, nous étions encadrées par des hommes. La première fois où je me suis retrouvée dirigée par une femme, j’avais treize ou quatorze ans et j’ai carrément dit à mon père : “C’est une femme, j’ai pas envie d’aller à l’entraînement !“. Mais, au final, ça s’est très bien passé… Même nous, les filles, on avait des préjugés (rire).

 

Quand on a eu une greffe de rein, comme ce fut votre cas, ça permet aussi de relativiser ?

– Oui, évidemment ! Déjà, on apprécie plus la vie. Et puis, ça me permet de prendre du recul sur les choses plus importantes et de prendre beaucoup de plaisir à ce que je fais, parce que je suis une passionnée. J’ai vraiment la chance de vivre de cette passion. Ce n’est pas donné à tout le monde. Autour de moi, mes proches, dans ma famille, certains sont à l’usine ou galèrent même pour trouver du boulot. J’ai un métier difficile aussi, mais sur un autre registre. C’est de la pression, de la gestion d’effectif, de femmes, ce qui n’est pas toujours évident. Mais j’estime que j’ai beaucoup de chance. Ma force, c’est aussi mon fils. Mes proches sont toujours autour de moi, à m’encourager. C’est aussi ma source de motivation.

 

« Mon fils me disait : Maman, pourquoi tu ne travailles pas à la maison ? »

 

Quand on est entraîneur de haut niveau, est-ce facile de concilier métier-passion et vie de famille, surtout le week-end ?

– C’est parfois un casse-tête… Mon fils, dès qu’il a commencé à parler, les premières mots qu’il a prononcés, c’était : « Maman, pourquoi tu ne travailles pas à la maison ? Pourquoi tu ne fais pas comme Tatie, c’est mieux ? Je te verrais tous les jours ! » Aujourd’hui, quel que soit le métier que l’on puisse pratiquer, chaque femme rencontre ce genre de désagréments. Il faut s’adapter et, surtout, profiter des bons moments. C’est ce que j’essaie de lui inculquer. Il a onze ans maintenant, il comprend mieux !

 

La nomination de Corinne Diacre à la tête des Bleues, vous devez apprécier ?

– J’étais super contente ! Ça faisait un petit moment que l’on attendait que ce soit Corinne qui soit nommée. J’ai été surprise au niveau du timing, puisqu’Olivier Echouafni avait été confirmé, malgré l’Euro manqué… Mais c’est dans la logique des choses. C’est vrai que « Coco » avait commencé la saison avec Clermont, mais je pense qu’elle a bien pris le temps de préparer tout ça. On a dû lui laisser le temps de la réflexion. En tout cas, c’est une bonne chose pour le foot féminin et pour le sport en général. J’espère que ça va marcher et qu’elle va amener sa patte. Le but, c’est d’obtenir de bons résultats en 2019 (Coupe du monde en France, ndlr). Elle a deux ans pour préparer l’échéance. On est tous derrière elle ! >>

 

Crédits photos : clubs (MHSC et EAG) 

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