Reynald Pedros : « Je veux des joueuses qui réfléchissent sur le terrain »

Intronisé, un peu par surprise, à la tête de l’équipe la plus puissante du foot européen l’été dernier, Reynald Pedros est venu, sans un grand CV de coach dans ses bagages, perpétuer la tradition de la gagne au sein de l’OL féminin. Avec réussite pour l’instant. Mais le match retour de Ligue des champions face à Barcelone, ce mercredi (19h00), pourrait bien venir chambouler ses plans.

 

Il le reconnaît lui-même. Lorsqu’il a accepté le poste d’entraîneur de l’OL féminin en juin 2017, Reynald Pedros « a changé de monde ». Car l’ancien milieu élégant qui a régalé la France du foot avec Nantes, où il a gagné un titre de champion de France en 1995, n’avait jusqu’ici pas atteint des sommets dans le coaching. Avant d’atterrir dans le sanctuaire sacré du foot pratiqué par les femmes, il n’avait accumulé que deux expériences en CFA, à Saint-Jean-de-La-Ruelle (2008-2009) puis à Saint-Pryvé Saint-Hilaire (2009-2012). De quoi laisser dubitatifs certains observateurs, et une partie de la presse, qu’il connaît bien pour avoir exercé en tant que consultant pendant 4 ans du côté de Canal +. Mais en quelques mois, l’ex-international français a imposé sa méthode, et va tenter de décrocher un nouveau triplé (Championnat – Coupe de France – Ligue des champions) avec les Fenottes, dès ce mercredi en Catalogne face à un FC Barcelone accrocheur la semaine passée. Entretien avec une étoile montante.

Foot d’Elles : Jeudi dernier, lors du quart de finale aller de Ligue des champions face à Barcelone (2-1), votre équipe a fait preuve d’un manque de réussite peu habituel. Est-ce que ça explique votre frustration après la rencontre ?

Reynald Pedros : « C’est vrai qu’on s’attendait à dominer ce match, mais pas forcément à avoir autant d’occasions. Ça prouve qu’on a su créer des décalages, qu’on a su se mettre en position, qu’il y a eu du monde dans la surface. Il y a un manque de réussite, c’est certain, mais ce n’est pas la frustration qui prédomine. Ce qu’on est capable de faire lors de ce match, je pense qu’on peut le faire au match retour, donc il y a déjà la satisfaction de l’avoir fait là.

Le retour de cette Ligue des champions, c’est un peu votre shoot d’adrénaline, après des semaines à tout écraser sur la scène nationale. La Coupe d’Europe, c’est la sortie d’une certaine routine ?

R.P : C’est sûr que la Ligue des champions, pour n’importe quelle équipe- que ce soit chez les garçons ou chez les filles- c’est la cerise sur le gâteau, parce qu’on joue des matches de très haut niveau. Ça l’est encore plus pour nous parce qu’en championnat on n’a pas beaucoup de matches de ce niveau-là, donc il faut bien les préparer. Ça reste des matches particuliers, c’est vrai.

« Je n’ai pas de réponse à donner aux sceptiques »

C’est donc encore plus jouissif pour vous, qui n’y êtes pas forcément habitué avec Lyon, de gagner dans la douleur ?

R.P : Pas forcément. Ça devient exceptionnel lorsqu’on ne s’y attend pas. Or, on s’attendait à ce genre de match, avec une bonne équipe en face. Dans notre état d’esprit, dans notre envie d’aller de l’avant, on a bien réalisé ce qu’on voulait faire. Même après le but encaissé on a une occasion dans les 15 secondes qui ont suivi l’engagement. Donc on est toujours resté sur notre ligne de conduite, et ça c’est intéressant. Maintenant, il y a un match retour, et il faudra le gagner.

Neuf mois après votre arrivée, est-ce que vous avez compris les interrogations, voire la défiance qui ont accompagné votre nomination comme entraîneur de l’OL ?

R.P : (Sourire) L’important pour nous (avec son staff, NDLR), c’est de ne pas écouter ce genre de discours. Je pense que si le club m’a choisi c’est parce qu’il savait que j’avais certaines compétences. On a discuté, avec le président, de ce qu’on voulait faire, et je pense que s’il avait senti que c’était farfelu, il n’aurait pas continué avec moi. Je ne m’attarde pas sur ces sentiments que peuvent avoir les uns et les autres. Moi je suis venu ici avec beaucoup d’enthousiasme, d’envie… J’ai préparé mon staff pour bien bosser, et à partir de là on s’est lancé dans l’aventure avec une équipe qui est championne d’Europe, championne de France et vainqueure de la Coupe de France, et c’est pour nous un challenge très intéressant. Je n’ai pas de réponse à donner aux sceptiques, je fais mon travail avec beaucoup d’envie, une superbe équipe, un super groupe, et on fera les comptes à la fin.

A vos débuts, vous parliez d’une certaine difficulté d’adaptation à un vestiaire féminin, et de l’obligation de tout mettre au féminin, vous faisiez référence à quoi ?

R.P : C’est vrai (rire) ! C’était pas rapport à la causerie, à toutes ces choses-là… On s’adresse à des filles, pas à des garçons, et elles y sont sensibles ! Je peux le comprendre. Pour nous c’était une gymnastique à avoir, et ça fait sourire parce qu’au début on se rend compte des petites erreurs qu’on fait, mais ensuite ça devient naturel, et on a plus de soucis.

En tout cas désormais les joueuses louent votre communication. Le management à la Pedros, est-ce que c’est surtout de l’empathie et de la discussion ?

R.P : C’est toujours pareil, celles qui jouent plus sont plus contentes que celles qui jouent moins. Et puis après il faut essayer d’adapter son discours en fonction des joueuses. On essaye de parler un peu plus à celles qui jouent moins, mais c’est difficile… Il faut trouver le juste milieu ! Moi quand je suis à l’entraînement je m’adresse de la même manière à tout le monde, et ensuite il faut faire des choix. C’est le plus dur pour nous, parce qu’on doit laisser des filles à la maison. On aimerait pouvoir les emmener toutes aux matches, mais malheureusement ce n’est pas possible. Après, comme je le dis toujours, on est axé sur la discussion, et s’il y a des filles qui veulent venir en discuter avec nous ce sera avec grand plaisir, la porte est toujours ouverte, notre envie de dialogue est permanente !

« On ne gagne pas 10-1 à Lille par hasard »

On évoque souvent une psychologie différente entre joueuses et joueurs, vous ressentez plus de besoin de discussion de la part des filles ?

R.P : Dans l’ensemble, oui ! Après il ne faut pas que ça aille non plus dans l’exagération, qu’on soit toujours à donner des explications. Mais les filles sont plus sensibles, d’après moi, de ce côté-là, que les garçons.

Sur le terrain, on dit que votre jeu est un mixte entre les principes inculqués par Patrice Lair (entraineur de l’OL de 2010 à 2014), qui voulait beaucoup de verticalité, et Gérard Prêcheur (en poste de 2014 à 2017), qui était plus dans la possession. Vous êtes d’accord ?

R.P : Notre objectif c’est de les faire jouer assez haut et d’utiliser les côtés, mais oui on veut alterner entre les deux. On a beaucoup d’équipes qui jouent très regroupées dans leur camp face à nous, donc après on essaye de voir si on peut être devant le but en 3 passes, ou en 15. Elle est là l’alternance. Pendant trois ans, les filles ont baigné dans une culture de jeu basée sur la possession, et ça a très bien fonctionné. Moi j’aime ce jeu rapide dans la profondeur, mais je pense que cette équipe est capable d’alterner les deux. Il faut qu’on trouve encore le fameux juste milieu. Entre le fait d’être dans la possession, de faire courir l’adversaire, et puis d’embrayer sur une attaque rapide, et d’arriver en 3 passes sur le but adversaire. C’est ce qu’on essaye de leur faire comprendre, et c’est ce qu’elles font plutôt bien. Mais on ne peut pas toujours être en attaque rapide, parce que l’adversaire ne nous le permet pas, et nous aussi selon les zones où on récupère le ballon. Il ne faut pas qu’on se prive de construire, de repartir, de faire plus de passes pour déstabiliser l’équipe en face.

On vous parle souvent du jeu à la Nantaise, en référence à votre période dorée de joueur. Cette équipe de Lyon, vous diriez qu’elle pratique aussi ce football total ?

R.P : Je ne sais pas trop ce que ça veut dire, football total, mais je sais qu’on a besoin d’une équipe intelligente. A Nantes, malgré tout ce qu’on pouvait voir, il y avait surtout une ossature de joueurs qui comprenaient bien le jeu, qui étaient assez intelligents. Tout le monde mettait ses qualités au service du collectif, et c’est ce qu’on voit ici aussi. Nous on veut voir des joueuses qui réfléchissent sur le terrain, parce qu’on sait, notamment en championnat, qu’on va dominer 90% du temps. Après il faut un état d’esprit particulier parce qu’on sait qu’on va gagner le match, mais jamais comment. C’est important pour nous ça. On ne gagne pas 10-1 à Lille (le 17 mars dernier, lors de la 17e journée de D1, NDLR) par hasard. On gagne parce qu’on défend en avançant, tous ensemble, qu’on a envie d’aller marquer des buts… Même quand le score est fleuve, on continue d’attaquer parce que ça doit rester dans notre ADN. On a un groupe exceptionnel, donc il faut en profiter et surtout ne pas faire baisser l’intensité du groupe.

Justement, comment on motive des joueuses qui ont souvent beaucoup plus de trophées que d’années en pro au compteur ?

R.P : C’est au quotidien. A l’entraînement, dans ce qu’on leur demande, il faut une exigence de chaque instant, et en match, pas une seule seconde, même quand on gagne 3 ou 4 buts à zéro, on leur demande de se calmer. Il faut qu’on aille vers l’avant, qu’on prenne du plaisir, qu’on travaille les enchaînements… On est toujours dans le travail, du début à la fin. Si elles ont une mentalité particulière ? Je pense que, quelque part en elle, et ça se transmet aussi au niveau du staff, elles détestent perdre. Quand c’est quelque chose dont on n’a plus l’habitude, et que ça vous arrive, c’est tellement frustrant, que je pense qu’elles n’ont pas envie de retrouver ce sentiment-là. Quand je vois le match de jeudi dernier, où Barcelone revient à la 70e, on peut se dire que c’est une forme d’injustice parce qu’on a beaucoup dominé, tenté… Mais cette équipe se transcende une deuxième fois pour aller chercher la victoire. Alors qu’on aurait très bien pu baisser la tête, on est reparti de l’avant tout de suite.

«Des filles qui parfois se mettent trop au service du collectif »

Vous parlez d’intelligence des joueuses. Quand on voit votre vestiaire, il y a Ada Hegerberg, Shanice van de Sanden, Camille Abily, Dzenifer Marozsan… Vous avez un potentiel offensif énorme, et il n’y a aucune bataille d’égo dans le vestiaire, elles sont même parfois très amies. C’est appréciable non ?

R.P : Ce sont des filles intelligentes, et ça prouve qu’elles pensent d’abord au club, et à l’équipe. Ensuite on leur dit que, de toute manière, même si elles ont beaucoup de talent, elles n’y arriveront jamais si elles ne s’intègrent pas dans le collectif. C’est très important de travailler les unes pour les autres, et ensuite les individualités ressortiront, mais jamais au détriment du collectif. Elles ont vraiment compris ça, et c’est pour ça que c’est très appréciable de travailler avec elles.

Là encore, c’est un état d’esprit différent de chez les hommes, où l’on assiste parfois à des scènes improbables entre coéquipiers ?

R.P : Parfois, on a l’impression que l’esprit individuel prend le dessus en effet, mais nous, de ce côté-là, on n’est pas gêné par ça. On a même parfois des filles qui se mettent trop au service du collectif, et ça on leur dit aussi. Parfois il faut prendre des initiatives personnelles, prendre des risques pour pouvoir marquer des buts. Mais c’est vrai qu’on a des filles qui s’intègrent parfaitement dans le collectif, et qui sont à l’écoute, dans le travail. Et ça c’est toujours bien.

« On a voulu améliorer l’équipe, pas la changer »

Vous vous voyez rester longtemps dans le monde du foot féminin ?

R.P : (rires) C’est ma première année, j’ai encore un an de contrat derrière… On verra bien. Je ne suis pas un carriériste, je ne me fixe pas de programme à l’avance, et me disant : « tiens dans deux ans je veux aller là », etc… Ce qui m’intéresse, moi, c’est de prendre du plaisir. Parce que le métier d’entraîneur est très compliqué, parfois injuste, et quand on est dans notre situation et qu’on prend énormément de plaisir au quotidien et en match, il ne faut pas bouder notre plaisir ! Il faut qu’on essaye d’être là le plus longtemps possible, c’est sûr. Pour l’instant tout se passe bien, je suis dans ma première année, j’espère qu’on ira au bout dans les trois compétitions, et après on verra. Tant que je serai dans le plaisir, l’envie et l’enthousiasme, que tout ça sera réuni pour qu’on puisse bien bosser, je continuerai ! A moins que le club me chasse, mais aujourd’hui tout se passe bien, j’ai de bonnes relations avec tout le monde.

Vous parliez un peu plus tôt de challenge excitant, mais ce n’est jamais intimidant ?

R.P : Déjà, il faut prendre du recul, ne pas arriver avec ses gros sabots en disant : « je vais tout changer, c’est moi le patron, c’est moi qui vais faire ci ou ça… ». On parlait d’écoute tout à l’heure, et c’est important là aussi. Il faut présenter les choses, c’est ce qu’on a fait en montrant aux filles de quelle manière on voulait travailler, en leur disant qu’on les pensait capables d’évoluer dans tel système, même s’il était différent. On a aussi recruté en conséquence, et surtout on leur a dit : « Avant de nous dire que vous ne pouvez pas le faire, faites-le, travaillez avec nous, et vous verrez que c’est possible ». Les filles l’ont accepté. Mais jamais on n’a cherché à faire les choses de force. On a voulu travailler dans la continuité, parce que c’est important, tout en changeant quelques petites choses pour améliorer l’équipe, et non pour la changer».

Propos recueillis par Vincent Roussel 

Crédits photos : Stéphane Guiochon – Le Progrès / Vincent Roussel pour Foot d’Elles / OL Web

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