NWSL – Du rififi au Sky Blue FC

La NWSL est la première ligue américaine à avoir survécu aussi longtemps aux tumultes financiers. Parmi les équipes qui concourent, Sky Blue FC, basé dans le New Jersey, est le club à la plus longue longévité. Mais la question se pose, suite à de nombreuses révélations sur les conditions catastrophiques dans lesquelles évoluent les joueuses : est-ce que le Sky Blue FC sera capable de survivre une saison de plus ?

Des temps plus heureux, avec Nadia Nadim et Christie Rampone en tête de file

Le fonctionnement de la NWSL diffère de la D1F, notamment au niveau de l’organisation. Il n’y a pas de relégation. Il existe des franchises indépendantes, d’autres équipes sont affiliées à des franchises de MLS – par exemple les Thorns/Timbers, l’Utah Royals FC/Real Salt Lake, l’Orland Pride/Orlando City -. Des salary caps, un syndicat des joueuses, une organisation qui est censée veiller au bon fonctionnement des différentes franchises. Sauf que depuis un an, c’est-à-dire depuis la démission surprise du commissaire Jeff Plush, la NWSL n’a plus de tête. Des franchises meurent à chaque année, parfois avec des signes avant-coureurs, parfois brutalement, comme la fin des Boston Breakers, encore dans la gorge des nombreux fans de la franchise. 

Sky Blue tient bon. Club aux résultats moyens à médiocres, se battant pour la fin du classement contre les Boston Breakers et plus récemment avec le Washington Spirit, il compte pourtant dans ses rangs de très bonnes joueuses : Christie Pearce, Heather O’Reilly ou encore Sam Kerr. Et c’est par Sam Kerr, le prodige Australien, que vient le scandale.

Les sources du scandale

En 2017, Kerr avait fait sensation. Alors que tout semblait perdu pour le Sky Blue FC, ce sont ses hat-tricks qui sauvent la saison. Certes, le Sky Blue FC n’atteindra pas les play-offs, mais ses remontées spectaculaires lui offrent sur un plateau d’argent le titre de MVP (most valuable player) de la ligue américaine. En 2018, Kerr évolue sous l’uniforme des Chicago Red Stars. Mais, lors d’une rencontre contre son ancien club, l’Australienne d’ordinaire si démonstrative lors de ses buts, semble presque s’excuser de son hat-trick. Pourquoi ?

C’est Dan Lauletta, l’une des plus grandes sources concernant tous les dessous de la NWSL, qui recueille ses propos : « Pour être tout à fait honnête, je n’ai pris aucun plaisir. Je préférerais que les choses se passent mieux ici et j’aurais aimé pouvoir rester. J’ai marqué trois buts, mais je n’étais pas moi-même aujourd’hui. Jouer contre ces filles, ça me rend malade. Ce sont mes amies pour la vie. (…) Je vais tout simplement dire que les filles méritent mieux et je n’aurais pas d’autres commentaires. Ce sont de chouettes filles. Elles donnent tout ce qu’elles ont à ce club et cette ligue et méritent juste mieux. J’aurais aimé pouvoir prendre chacune d’elles avec moi mais ce n’est pas comme ça que ça fonctionne. J’avais l’impression que j’allais me mettre à pleurer en plein milieu de ce match. » 

Les langues se délient

Alors, drama queen, Samantha Kerr ? Ce serait trop vite catégoriser l’Australienne, sincère dans ses propos. Il est vrai que la NWSL n’a rien de l’eldorado promis : il y a de nombreux problèmes de gestions, et dépendant du statut de la licence, petite soeur d’une franchise de MLS ou indépendante, ils peuvent être plus ou moins graves, plus ou moins dégradants, plus ou moins scandaleux. Ainsi, il y a quelques années, c’est la capitaine du Canada, Christine Sinclair, qui avait déclenché un mini-séisme en pointant du doigt l’état lamentable des chambres d’hôtel réservées aux joueuses des Thorns, dont les lits étaient colonisés par des punaises. De nombreux dysfonctionnements ont été montrés, notamment chez le Washington Spirit et les fans directement assis derrière les cages. La liste est longue mais personne n’avait pour l’instant supputé de l’horreur qui règne au Sky Blue FC.

Caroline Stanley, l’autre voix du scandale

Ce sont nos confrères de The Equalizer, John D. Halloran, Dan Lauletta et Allison Lee, qui enquêtent en premier suite aux sous-entendus de Sam Kerr. Et ce qu’ils en tirent est alarmant et au-delà de tout ce qu’on aurait pu croire, surtout venant de la franchise la plus ancienne des USA.  Sous couvert d’anonymat, les langues se délient. Caroline Stanley témoigne ouvertement, après avoir joué pour le club en 2016. Son déménagement dans le New Jersey se passe très mal. Elle se trouve sans logement, annulé à la dernière seconde, et surtout sans moyen de communication avec le club. Elle termine dans un logement minuscule en compagnie de 4 autres joueuses. Dave Hodgson, ancien entraîneur adjoint, vient soutenir ce témoignage sur l’état des hébergements, même s’il doit admettre que cela s’est amélioré en 2018. Mais visiblement pas pour toutes, puisque certaines joueuses devaient se contenter de dormir sur le canapé des autres. D’autres ont également l’immense privilège de vivre dans des logements assez insalubres pour devoir couvrir les fenêtres avec des morceaux de cartons, des fenêtres d’ailleurs faites de sacs plastiques. Et si elles ne sont pas contentes, elles peuvent tout aussi bien se débrouiller toutes seules pour trouver un autre logement.

Au coeur de la jungle

Et s’il ne s’agissait seulement que de l’hébergement. Le Sky Blue FC partage un stade avec l’université du New Jersey, Rutgers. Un de leur centre d’entraînement est surnommé « La Jungle », puisqu’il ne dispose ni de vestiaires – bon, certes, admettons -, mais plus grave, ni de douches, ni d’eau courante, ce qui signifie aussi pas d’autres toilettes que des cabines de chantiers. Peu glorieux. L’organisation doit promettre que les choses vont changer et assure que des douches et bains à glace mobiles ont été commandés. « Quand il n’y a même pas de douches dans les vestiaires de votre stade, vous ne vous sentez pas une seconde professionnelle », défend Stanley. « Quand vous n’avez pas de responsable des équipements, vous vous pointez à l’entraînement dans votre tenue, parce que vous n’avez pas de vestiaires et vous partez couverte de sueur, vous lavez votre tenue, et vous ne vous sentez pas professionnelle. Vous ne pouvez clairement pas être au meilleur de votre forme dans ces conditions. » 

Certes, il faut se doucher, mais il faut aussi se vêtir. C’est un énième problème pour le Sky Blue FC, qui ne fournirait qu’un lot très restreint d’équipement : des joueuses font état de deux chaussettes, deux paires de shorts pour l’entraînement, une paire de crampons à l’année. Cela pourrait paraître insignifiants, mais quand on cumule le tout, l’organisation du Sky Blue FC n’a rien de professionnelle et ne semble avoir aucune envie de respecter ses athlètes. 

Et enfin il faut se déplacer. On l’a vu récemment, un match a dû être reporté dû à l’incapacité des joueuses de Sky Blue de se présenter en temps et en heure au stade,  à cause d’un avion annulé : pour procéder à des économies radicales, le Sky Blue  FC pousse ses joueuses à prendre le premier ou le dernier avion de la journée et elles voyagent souvent le jour même pour se dispenser de frais hôteliers et de bagages. 

Des économies de bout de chandelle désastreuses

La liste s’allonge et ne semble pas vouloir s’arrêter. Conséquence de ce désastre professionnel, l’équipe n’a absolument remporté aucune victoire de la saison et l’a terminée sur un déchirant 5-0 contre le Chicago Red Stars. L’image la plus criante sera néanmoins celle du coup de sifflet final de Washington Spirit – Sky Blue FC, avec les joueuses des deux équipes, abattues, assises sur la pelouse du Maryland Soccer Plex, après une désastreuse saison. 

Là où cela devient coton, c’est que le propriétaire du Sky Blue FC n’est autre que le gouverneur du New Jersey, Phil Murphy, qui l’a acheté pour… sa fille, bien qu’il annonce en juillet dernier avoir acheté la franchise afin d’adresser « l’injustice fondamentale de l’absence d’une ligue professionnelle féminine aux US. ».

En juillet, les supporters de l’équipe du Sky Blue FC, eux-mêmes lésés, ont poussé l’organisation à rendre des comptes. De cette provocation sont nées des promesses d’améliorations. Mais un mois plus tard, toujours pas d’eau courante. 

Le véritable problème du club, au-delà de sa structure, reste que financièrement et administrativement, il est abandonné. On ne peut exiger des résultats si on ne paye pas correctement ses employés, ce qui est le cas. L’implication du gouverneur Murphy se réduit à des grandes phrases données en pâture aux médias, et la NWSL ne dispose toujours pas de commissaire, depuis la démission surprise de Jeff Plush, qui saurait à la fois interpeller la fédération Américaine et donner un cadre et un soutien plus stricts au club.

Alors que Carli Lloyd renvoie sa frustration à ses coéquipières, le club du New Jersey vacille. Quand on voit le triste sort réservé au Western New York Flash, au FC Kansas City ou encore aux Boston Breakers, on ne peut que mettre en doute la future longévité du club du New Jersey. Peut-être que cette dernière humiliation face aux Red Stars sera, effectivement, la dernière ? Et si c’est le cas, triste jour pour le football.


Crédits photos : Lewis Gettier, Sky Blue FC, Washington Spirit

3 commentaires

  • Merci pour ce très bon article !

    Restent deux questions fondamentales à poser qui relèvent, l’une des raisons profondes de la création de chaque franchise (dans quel but est montée une équipe en NWSL ?), l’autre concernant la culture même du sport aux USA, sa conception et – notamment – ce que l’on nomme chez nous en football « la culture de club ». Pour un autre article ?

    • Merci Gromit, contente que l’article vous plaise !

      Bonne idée, il y a aussi beaucoup de sujets à creuser sur l’engouement américain pour le football féminin et l’écart majeur entre cet engouement et le traitement des joueuses de manière globale, WNT ou club. Bientôt !

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