Nathalie Janvier (chef de délégation EDF rugby) : « Ne pas en rester là »

Elles ont remporté le bronze, mais surtout l’adhésion d’un public nouveau. Par leur épopée à la maison, les joueuses de l’Équipe de France féminine de rugby ont suscité un engouement inattendu. Nathalie Janvier, élue au comité directeur de la fédération et chef de la délégation féminine, revient pour Foot d’Elles sur les retombées d’un tel succès. Entretien.

 

 

  

Avec le recul, quel regard portez-vous sur le parcours de l’Équipe de France pendant cette Coupe du Monde ?

 

Nous pouvons le voir sous deux angles. Tout d’abord du côté de l’engouement du public et des médias. Sous cet angle, cela a vraiment été une fabuleuse réussite. Je crois que nous ne pouvions rêver mieux que d’attirer autant de médias autour de la compétition et de créer un engouement populaire comme celui-ci. C’est vraiment une grande satisfaction.

D’un autre côté, cette  dernière est moindre, car nous n’avons obtenu « que » la troisième place et la médaille de bronze. Je crois que l’objectif de tout sportif de haut niveau qui entre dans une compétition, qui plus est dans son pays, est de ramener une place de finaliste, voire la médaille d’or.

 

Comment expliquer l’engouement du public ?

 

Je crois que c’est un concours de circonstances. Nous sommes tombées à un moment de creux dans le paysage sportif. Les gens sortaient du Tour de France ; ensuite, avaient lieu les championnats d’Europe d’athlétisme. Entre-temps, on savait qu’il y avait une fenêtre médiatique complètement vide. Les filles ont réussi de très, très bons résultats dès l’entame de la compétition. Il a suffi qu’un ou deux quotidiens nationaux et une ou deux télés relaient l’information…

Dés le premier match, il y avait plus d’un million de téléspectateurs. Cela se passait aussi à une heure de grande écoute, à 20 h 30, les gens étaient rentrés chez eux. Beaucoup de familles ont découvert cette activité alors que d’habitude, l’après-midi, le plus souvent seuls les hommes regardent. La mayonnaise a pris et, petit à petit, est montée.

 

Vous ne vous attendiez donc pas à une si forte médiatisation, même si la compétition se passait en France ?

 

Non, soyons honnêtes, il y a trois mois, on se disait « comment va-t-on remplir les stades à Marcoussis ? ». Les plus grands spécialistes n’auraient jamais imaginé que les demi-finales et les finales puissent se jouer à guichets fermés. Il y avait plus de 19 000 spectateurs (N.D.LR., lors de la demi-finale France-Canada au stade Jean Bouin). La finale (N.D.L.R., entre le Canada et l’Angleterre) s’est jouée devant 13 000 spectateurs. C’est vraiment quelque chose de très grand qui s’est créé.

 

 

 

Vous avez parlé des audiences télé, qui ont été bonnes dès le début. En ce qui concerne les médias, à partir de quelle étape avez-vous ressenti ce plus fort intérêt ?

 

Je pense que c’est à l’occasion du match contre l’Australie. Beaucoup de sportifs et sportives de haut niveau ont relayé l’info et envoyé leurs encouragements sur les réseaux sociaux. Cela a été formidable. La fédération française de foot et son équipe féminine U20 nous ont vraiment soutenues jusqu’au bout.

D’autres fédérations l’ont fait également, comme le basket et le hand par exemple. Ces soutiens nous ont énormément touchées ; je pense que lorsque les médias ont vu que le monde sportif était derrière nous, ils se sont dits « il y a quand même quelque chose de grand qui se fait ».

 

Donc aujourd’hui, est-ce qu’un cap a été franchi en termes de médiatisation ?

 

Oui, parce que je ne pense pas que ce soit anodin. France 4 s’est déjà positionné pour les matchs du Tournoi des Six nations. Aujourd’hui, un certain nombre de télés également cherchent à avoir des joueuses dans des émissions ou des radios. On vient de voir deux matchs de Top 14 où des joueuses de l’Équipe de France étaient invitées, alors qu’avant, c’étaient d’illustres inconnues.

Aujourd’hui, un cap a été franchi mais il ne faut pas en rester là. Je crois que cela peut redescendre très vite. Lorsque les Championnats d’Europe ont commencé et que les Français ont gagné pas mal de médailles, nous avons « disparu » du premier plan et les gens sont passés à autre chose. Nous devons encore faire évoluer les mentalités.

 

La Coupe du Monde a-t-elle pu réellement contribuer à faire évoluer l’image du rugby féminin ?

 

Oui, j’en suis sûre. Jusqu’à présent, beaucoup de parents hésitaient à inscrire leur fille dans les écoles de rugby ou trouvaient toujours un argument en défaveur. Je crois qu’aujourd’hui, elles ne vont plus hésiter. Les filles ont montré des valeurs et ont fait complètement disparaître les clichés de combat et de sport dangereux.

Les clichés sont tombés et nous avons vu des femmes, avant tout sportives de haut niveau avec un engagement et de l’abnégation. Elles ont démontré qu’elles pouvaient aligner les heures de boulot la journée et s’entraîner le soir pour avoir une médaille de bronze à la Coupe du Monde.

 

 

 

 

Vous avez parlé des parents et des écoles de rugby. Avec la reprise, constatez-vous déjà une hausse du nombre de licenciées ?

 

C’est un peu trop tôt pour le dire. Mais déjà, certains dirigeants ont fait savoir qu’ils avaient eu pas mal d’appels téléphoniques pour les sections féminines. Je pense que cela va jouer un petit peu. Accueillir de nouvelles licenciées, c’est bien, mais il faut aussi être prêt. L’idée, ce n’est pas de battre les chiffres, mais de fidéliser. Beaucoup de nos jeunes joueuses arrêtent après le collège par exemple. Il faut fidéliser nos propres licenciées avant tout.

 

Aujourd’hui, combien de licenciées et de clubs le rugby féminin représente-t-il ?

 

Aujourd’hui, 12 830 licenciées (rires) (N.D.L.R, contre environ 400 000 rugbymen). Pour les clubs, c’est très difficile de se prononcer puisque beaucoup sont en mixité. En gros, on a pratiquement 580 équipes féminines, toutes catégories confondues. Nous partons de loin puisqu’en 2004, nous avions 4000 licenciées. Tout un travail avait été fait en 2007 lors de Coupe du Monde  des hommes en France, et nous en avons un peu bénéficié.

 

La non-professionnalisation des joueuses a été largement soulignée dans les médias. Aujourd’hui, des clubs semblent-ils prêts à investir en ce sens ?

 

Non, aujourd’hui, un club de première division ne peut pas aller dans ce sens. Quand on connaît leurs budgets, ce n’est pas du tout concevable et la cartographie du rugby en France ne le permet pas. Vous n’avez pas de club suffisamment important pour parler de professionnalisation.

Je crois que l’objectif n°1 est de permettre aux joueuses de haut niveau de pouvoir mener de front un double projet. Aménager leurs études ou leurs emplois pour pouvoir les libérer pour les entraînements, c’est une bonne première approche.

 

 

 

Entre ce développement du rugby féminin et celui, un peu plus avancé, du football féminin, quels points communs pouvez-vous éventuellement constater ?

 

Quand Lyon a été champion d’Europe, les joueuses ont quelque part bénéficié du fait que l’ambiance soit plus morose au niveau masculin. Le public était déçu par les résultats de l’équipe masculine, il ne se retrouvait pas forcément dans ce football masculin de haut niveau. Peut-être qu’aujourd’hui, beaucoup se sont reconnus dans le rugby pratiqué par les filles. Malheureusement, nos garçons n’ont pas en ce moment des résultats forcément très brillants, nous espérons que cela va repartir. Au début, peut-être que les gens se sont accrochés à nous par dépit, puis ont été conquis au fur et à mesure. Après, l’enchaînement des performances a aussi fait que…

 

Le public s’est accroché à vous. Maintenant, comment faire perdurer l’engouement qui est né ?

 

La grosse difficulté qui se dresse devant nous, c’est qu’après une Coupe du Monde, il n’y a pas de tournée d’automne. Il va falloir attendre six mois avant le Tournoi des Six nations. Ce sera dur, mais nous espérons que certaines télés diffuseront un ou deux matchs de notre championnat et qu’après ces rediffusions, cela repartira crescendo pour le Tournoi des Six nations.

 

 

 

 

Crédits photos : ffr.fr / leparisien.fr

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