Mai 68, le foot féminin renaît à Reims

Alors que l’Equipe de France est désormais reconnue dans l’hexagone et que les championnats sont désormais développés, la naissance du football féminin a plutôt été chaotique, presque enclenchée sur un malentendu. Retour en dans les années 60 à travers le regard de Ghislaine Royer-Souef, pionnière du foot féminin en France.

 

On fait bien des combats de catch de lilliputiens, pourquoi pas des matchs de foot féminin? L’équipe féminine du Stade de Reims, pionnière du renouveau du foot féminin en France, est née comme ça. Presque sur un malentendu.

Une petite annonce, quinze filles, une équipe

A l’époque, le journal L’Union recherche une animation pour son tournoi corporatif annuel. Après Dupond et Pondu (duo d’humoristes) en 1966 et le combat de Liliputiens catcheurs en 1967, il faut trouver autre chose pour attirer un large public. Pierre Geoffroy, l’un des journalistes sportifs du journal, pense à un match de foot féminin. Mais il n’existe presque plus d’équipes depuis que la fédération des sociétés féminines de France a radié le football féminin des sports qu’elle soutient en 1933. Il faut donc réunir des femmes pour créer une équipe. Une annonce paraît dans le journal. « Un entrefilet d’à peine dix lignes » précise Ghislaine Royer-Souef, 62 ans, qui a à l’époque répondu à l’appel. « Je jouais déjà au foot avec mes frères sur le terrain à côté de chez nous, mais quand j’ai vu l’annonce, j’ai pas osé y aller ». C’est « Lionel » un « pote » de son frère qui lui dit « Gigi, tu sais jouer au foot, tu vas y aller ». Il la conduit jusqu’au journal pour s’inscrire. L’histoire commence.

Comme elle, une quinzaine de filles se présentent. « On était nous-mêmes surpris qu’il y ait tant de réponses », se remémore Richard Gaud, également salarié à l’Union. De mai à la fin de l’été, des entraînements s’organisent. « Les filles étaient hyper motivées, elles s’investissaient à fond et certaines jouaient vraiment pas mal », raconte Richard Gaud, ancien joueur du FC Metz et entraîneur d’une équipe de garçons, à qui Pierre Geoffroy a demandé de prendre les filles en main. La plupart d’entre elles sont déjà des sportives, venues de l’athlétisme ou du handball… La veille du match le Stade de Reims s’intéresse à l’affaire. « Ils nous ont demandé si les filles pouvaient venir faire un match en ouverture de Reims-Lens le soir-même (Division 2), bien sûr on a accepté ». Le lendemain, elle jouent pour la « kermesse ».

 

Après deux matchs les filles ne veulent plus s’arrêter

Après ce premier week-end sous les yeux du public « parfois railleur » reconnaît Richard Gaud, alias « Doudoune », l’histoire aurait dû s’arrêter. « Mais, nous, on aimait le foot, on n’allait pas repartir comme ça », raconte « Gigi », 

qui avoue son caractère bien trempé. Impossible de ramener ce petit monde à la « raison », le football restera donc aussi féminin à Reims. « On a continué les entraînements deux fois par semaine, plus un match le dimanche matin… Tout à coup ça a pris énormément de temps dans nos vies », reconnaît la première gardienne « par défaut » de l’équipe. Pourtant, sa mère n’est pas pour : « pour elle, le foot c’était pas pour les filles, ni le sport en général d’ailleurs ! » Mais son père, fan de foot, et ses grands frères l’encouragent.

Pierre Geoffroy, surtout, se démène et organise des « tournées » pour ses filles. En région parisienne d’abord, mais peu d’équipes existent à part Saint-Maure (Val-de-Marne), Caluire (banlieue de Lyon) et quelques équipes en Alsace (Vendenheim…). Il cherche donc à l’étranger. 1970, l’équipe décolle pour le Canada. Puis la Tchécoslovaquie où les filles jouent au foot depuis plus longtemps. Le Reims football club féminin se fait un nom. Le grand Stade de Reims propose alors qu’elles rejoignent le club. La section féminine du Stade de Reims naît en janvier 1970.

 

 

Des pionnières ? « À 15 ans on ne pense pas à ça, tout ce qu’on voulait c’était jouer au foot »

Toujours pas reconnues par les instances fédérales, elles pensent à créer leur propre « fédé ». « C’est là qu’ils se sont dit, on ne peux pas les laisser filer… » analyse Gigi. Le football féminin est donc officiellement reconnu le 29 mars 1970 par une fédération, qui espère surtout y gagner quelques licenciés. Des clubs se créent un peu partout en France, mais les meilleures joueuses continuent de rejoindre le Stade de Reims. Armelle Binard vient de Rouen en 75, Christine Scharo de Metz trois ans plus tard. « Nous étions les seules à faire des tournées à l’époque », justifie Ghislaine Royer-Souef, la petite gardienne qui sera ensuite remplacée par Marie-Louise Butzig, une « vraie » gardienne venue des Ardennes.

 

Avec ces joueuses de talent, Pierre Geoffroy crée la première équipe de France féminine, pour participer au Mondial non-officiel au Mexique en 1971. Onze des filles qu’il emmène sont rémoises. Face à cet engouement, la fédération décide aussi de créer un championnat féminin en 1973-1974. Pas de suspens : Reims gagne haut la main. Les deux années de suite aussi. Puis elles alternent entre la première et la deuxième place jusqu’en 82. Le foot féminin est réellement lancé.

Mais Reims n’a pas pensé à la suite. Pierre Geoffroy tombe malade et le club perd son moteur. Les premières filles quittent Reims pour leur travail ou pour fonder une famille et peu de jeunes prennent le relais. « Moi j’ai repris et avec un bon niveau au poste de défenseur central après ma première grossesse, raconte Ghislaine, mais après la deuxième, en 1980, je ne pouvais plus tout gérer… » En 1985, la section féminine du Stade de Reims ferme ses portes.

L’histoire continue sans elles, mais les filles de Reims sont aujourd’hui reconnues comme des pionnières. Le club a installé une plaque il y a quelques années devant le Stade Auguste Delaune pour rappeler leurs cinq titres de championnes. Une reconnaissance qu’apprécie Ghislaine Royer-Souef même si elle n’en tire aucune « fierté » particulière. Elle l’avoue, à l’époque, tout ce qu’elles voulaient, toutes, c’était « jouer au foot ». Pas d’esprit féministe, de Mai 68 ou de revendication. « À 15 ans, on ne pense pas à ça, on faisait ça pour nous ! » Mais sur son ordinateur, elle ouvre son dossier nommé « foot féminin pionnières » pour rechercher un numéro. Il a fallu 50 ans pour qu’elle réalise que cette équipe de copines a peut-être ouvert la voie au renouveau du football féminin en France . « Tant mieux s’il y a moins de barrières et que c’est plus facile pour les filles de jouer au foot aujourd’hui », conclut-elle simplement. Au Stade de Reims, quelques filles ont rechaussé les crampons depuis deux saisons. Gigi est là pour les encourager.

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