Livres jeunesse : combattre les stéréotypes de genre, c’est du sport !

Imagiers, albums, romans, documentaires… Comment les jeunes filles et les championnes sont-elles évoquées dans les ouvrages pour enfants dédiés au sport ? Qu’en est-il de la mixité, notamment dans le football ? Nous avons mené l’enquête à l’occasion de la journée mondiale du livre, le 23 avril. Si certains clichés perdurent, une offre alternative émerge.

  

 

Ensemble, Emma et Lucas font du judo, de la natation et de l’équitation. Mais pendant qu’Emma pratique la danse, Lucas joue au football ou au rugby. Emma et Lucas ? Selon les éditions Auzou, ce sont « deux héros pour que les enfants s’identifient ». Le but de cette collection, qui mêle documentaire et histoires, est ainsi d’initier les plus de 6 ans à une activité sportive. Aux filles les disciplines artistiques, aux garçons les sports dits virils.


 

 

 

Une exception ? Pas du tout ! Faites donc un tour au rayon jeunesse d’une librairie, et vous le verrez vite : beaucoup de livres parlant de sport aux enfants reproduisent encore parfaitement les stéréotypes en la matière, et n’accordent que peu de place à la mixité.

« On nous a beaucoup reproché nos collections « P’tit garçon » et « P’tite fille » (1), admet Janine Boudineau, directrice du département enfants de Fleurus. Mais il n’est pas évident d’en sortir. Les albums sur les poupées et les princesses restent nos plus grosses ventes ! En matière de sport, nous avons voulu coller à ce que les enfants vivent au quotidien. Petits, en club, ils jouent ensemble au football par exemple. Il n’y a donc pas de raison qu’il en soit autrement dans nos albums. »

 

 

Dans Mon imagier du football (Nathan), les filles sont également mises sur un pied d’égalité avec les garçons. Habillées avec la même tenue que leurs coéquipiers, elles marquent des buts et dribblent exactement comme eux. Il en va souvent autrement dans les romans prenant le sport comme fil rouge. Quelques exemples ? Rêve de foot ; Danny, champion du monde ; La ville qui rend foot ; La grande fête du rugby ; Des frères en finale ; Ratus court le marathon… Dans tous ces ouvrages, le personnage principal est invariablement un garçon.

 

Des héroïnes sportives

« On constate un maintien navrant des filles dans des rôles de second plan (voire pas de rôle du tout) en littérature jeunesse, regrette Cécile Soler, ancienne journaliste sportive, qui a imaginé la série de livres Arcadia destinée aux 9-12 ans (2). Ayant travaillé dans un univers très masculin pendant longtemps, je me sens d’autant plus une responsabilité, dans mon rôle d’auteure, à encourager la pratique du sport pour les jeunes filles, activité qui booste leur confiance en elles. Je mets également un point d’honneur (et franchement, je n’ai pas besoin de me forcer) à proposer des personnages féminins volontaires et affirmés. Même si Vanessa, mon héroïne, pratique une discipline considérée comme féminine, le patinage, elle est une sportive avant tout et certaines de ses copines pratiquent l’escrime ou le tennis.

A l’âge charnière de la puberté, les modèles sur lesquels les jeunes filles construisent leur identité viennent de leurs proches éducateurs, mais aussi des héroïnes de fiction auxquelles elles sont exposées. Dans la série Arcadia, elles peuvent s’identifier à des héroïnes déterminées à réaliser leurs rêves, quels que soient les obstacles qui se dressent devant elles. Les ambitions sportives du personnage central peuvent inciter de jeunes lectrices à passer elles-mêmes à l’action en pratiquant une discipline sportive, vecteur de santé et d’affirmation de soi.»

 

 

L’an dernier, Fleurus a publié Le foot, c’est aussi pour les filles ! Le pitch ? « Pour de vrai, il n’y a pas que les garçons qui savent jouer au foot, les filles se défendent bien aussi. Il n’y a qu’à regarder Capucine pour en être convaincu. ». C’est en entendant parler des bons résultats de l’équipe de France féminine que la maison d’édition a eu l’idée de cet ouvrage : « Dans les cours de récréation, il y a encore parfois des moqueries quand les filles veulent s’emparer du ballon rond. C’est ce qui arrive à l’héroïne, mais elle finit par s’imposer et par être adoptée par l’équipe ! » Dans Cendrillon (ou presque), paru en janvier dernier chez Nathan, on revisite le célèbre comte de Charles Perrault. Exit le bal et la pantoufle de verre, vive le ballon rond et les crampons. Sandy n’a en effet qu’une passion : le foot. Elle voudrait se rendre au championnat de l’Académie, mais deux vilaines sœurs veulent l’en empêcher. Heureusement, la bonne fée bibliothécaire veille sur elle ! Dans Philo mène la danse, qui paraît ce mois-ci aux éditions Talents Hauts, c’est exactement l’inverse. Lorsque la maîtresse annonce que toute la classe va faire de la danse, Philo est le seul garçon à s’en réjouir. Mais il lui faudra attendre l’année suivante pour arrêter le foot, se consacrer à la danse et faire accepter sa décision à son père et à ses copains.

 

« You can’t be what you can’t see »

Le terrain de jeu sur lequel il reste le plus de chemin à parcourir ? Le sport de haut niveau. Dans Histoire des jeux Olympiques (Les Yeux de la Découverte, Gallimard jeunesse), le combat des femmes pour participer à cette compétition mythique est réduit à une phrase qui clôture le paragraphe sur les JO de 1900 à Paris : « Douze femmes s’affrontent en golf et en tennis, contre l’avis de Coubertin ». Aucune mention de la plus fervente des militantes féministes de l’époque, Alice Milliat, des dates marquant l’intégration progressive des femmes, de l’évolution du nombre de participantes au fil des éditions… Les lecteurs, âgés de 9 ans et plus, ne découvrent que 3 sportives sur 14 « Grands Champions » retenus pour les Jeux d’été.

 

 

Dans Football, histoire d’une passion (Les Yeux de la Découverte, Gallimard Jeunesse), après une couverture 100% masculine, les « dames » sont évoquées, mais de manière on ne peut plus sporadique : elles ne représentent que 7 images sur 70 pages ! Aucune femme dans les illustrations des chapitres dédiées à l’arbitrage, aux techniques, aux gardiens de but, à la tactique… Aucune footballeuse parmi les « étoiles », comprenez les icones du ballon rond. Au rayon des biographies, c’est pire. Les héros masculins y règnent sans partage. La preuve avec la collection « Les étoiles du sport » des éditions Belize. Huit ouvrages, neuf champions mis en avant : Roger Federer, Rafael Nadal, Novak Djokovic, Lionel Messi, Cristiano Ronaldo, Teddy Riner, Tony Parker, Usain Bolt, Zlatan Ibrahimovic… Aucune championne donc. Or, comme l’ont rappelé les footballeuses de Glasgow sur leurs nouveaux maillots : « You can’t be what you can’t see » (3).

Une sportive a choisi de prendre la plume pour bousculer les codes. C’est en voulant offrir un livre sur le sport à sa nièce qu’Astrid Guyart s’est rendue compte que rien ne correspondait à ses attentes : « J’ai trouvé des documentaires, beaucoup de livres sur le foot, mais rien qui éveille vraiment l’imagination. Je souhaitais lui donner envie de pratiquer et lui montrer que le sport permet de se découvrir, de se réaliser. » Tout au long de sa préparation olympique, l’escrimeuse a écrit les aventures de Jo. « C’était ma bulle d’air ! », résume-t-elle. Dans les trois opus, parus en mars dernier, ce garçon s’initie à la perche avec Vanessa, au basket-ball avec Emmeline et à l’escrime avec Brice (4). A la fin de l’histoire, les lecteurs découvrent que ces enfants comme les autres sont devenus, quelques années plus tard, des athlètes de haut niveau : Vanessa Boslak, Emmeline Ndongue et Brice Guyart.

« J’ai choisi des sportifs au palmarès remarquable, mais qui sont également exemplaires en matière de savoir-être. En fermant le livre, je veux que les jeunes aient envie de pousser les portes d’un club et se disent que dans la vie tout est possible : on ne naît pas champion, on le devient ! J’ai également glissé des messages qui s’adressent, discrètement, aux parents, comme les remarques misogynes dans le livre dédié au basket. Pour moi, le sport est non genré et j’ai voulu que cela transparaisse au fil des pages. » Comment sa nièce a-t-elle accueilli les trois opus ? « Elle les adore, et pas seulement parce que son père y figure ! ».

 

(1) Exemples de titres parus dans ces collections : Le vélo de Mattéo, Le tracteur de Peter ou encore La formule 1 de Gabin pour les garçons vs Lisa joue à la maîtresse, Lola joue à la dînette ou encore Jade joue à la coiffeuse pour les filles.

(2) Cette série se compose de trois tomes : Le rêve de Vanessa, La nouvelle vie de Vanessa et Un défi pour Vanessa. Disponible sur Amazon en version Kindle et Poche.

(3) « Tu ne peux pas être ce que tu ne peux pas voir »

(4) Jo, haut perché ; Le face à face de Jo ; Le rebond de Jo. Aux éditions Cherche-midi.

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