Les étrangères de D1, un mal pour le foot français ?

Depuis plusieurs saisons, les joueuses étrangères sont de plus en plus nombreuses à rejoindre le championnat de France. Si cela semble apporter pas mal de positif, les questions commencent à fuser sur les côtés qui le sont peut-être moins : le manque de temps de jeu pour certaines joueuses tricolores, et le déséquilibre de la D1, notamment. Le débat est lancé.

 

 

Il y a une quinzaine d’années, les premières joueuses étrangères débarquaient en France pour découvrir la D1… On se souvient notamment des cinq américaines : Hope Solo, Aly Wagner, Lorrie Fair, Christie Welsh et Danielle Slaton, venues embellir l’effectif de l’équipe de Lyon, fraîchement passée de FC Lyon à Olympique Lyonnais. Depuis, le championnat de France a vu des joueuses d’un peu partout dans le monde rejoindre les rangs de plusieurs équipes de D1. À première vue, une bonne chose pour le football français puisque cela prouve sans doute son attractivité grandissante. Mais l’arrivée de joueuses étrangères, au fur et à mesure des saisons, est-elle vraiment si positive que cela pour la D1, voire même indirectement, pour l’équipe de France ? Lorsque l’on pose la question à Sonia Haziraj, Directrice du Pôle féminin de Rennes et consultante sur Cstar, la réponse ne se fait pas attendre : « Je ne crois vraiment pas que le fait d’avoir un bon nombre de joueuses étrangères au sein d’équipes de D1, soit un frein pour le foot français. Au contraire cela permet de donner davantage de visibilité à nos équipes, comme cela a été le cas avec la finale de Ligue des Champions la saison dernière, entre l’OL et le PSG, par exemple. En revanche, où cela peut poser problème pour moi, c’est davantage par rapport à l’équipe de France et aux joueuses -ou potentielles joueuses- qui la composent… ».

 

Au top mais avec moins de temps de jeu ?
Pour jouer dans les meilleurs clubs français où la concurrence est plus forte à chaque poste, certaines joueuses bien installées dans leur club décident finalement de quitter leur « cocon », au risque de perdre une place de titulaire et d’avoir bien moins de temps de jeu. À première vue, pas grand chose à voir avec les étrangères de la D1 direz-vous, et pourtant ces dernières sont bien concernées puisque dans les équipes du Top de la D1, où elles sont de plus en plus nombreuses, ce sont souvent elles qui envoient les joueuses françaises sur le banc de touche ou en tribunes. Dernier exemple en date, la rencontre entre l’Olympique Lyonnais et le Paris Saint-Germain, lors de la 11e journée, où quatorze joueuses sur les vingt-deux qui débutaient la rencontre, étaient… des joueuses « non-françaises » (six pour l’OL, huit pour le PSG).

Alors oui, prendre le risque, accepter la concurrence, et se battre pour une place de titulaire, sont de bonnes choses pour une joueuse de haut-niveau. S’entrainer quotidiennement avec des joueuses de ce talent, et apprendre d’autres « cultures foot », le sont aussi. Mais à quel prix ? Signer dans une équipe du Top et avoir un -meilleur- contrat fédéral, vaut-il mieux que d’avoir plus de temps de jeu dans un autre club -qui par le fait peut aussi faciliter une éventuelle sélection en Bleues- ? Pour Sonia Haziraj, « Ce n’est pas simple parce qu’effectivement, en tant que compétitrice tu veux évoluer dans les meilleurs clubs et c’est normal, mais avant de prendre la décision je pense que la joueuse doit vraiment se poser les bonnes questions, du type « En signant ici, est-ce que j’aurai le temps de jeu nécessaire pour m’exprimer ? Pour progresser ?… » ».

 

L’internationalisation creuse l’écart
Malheureusement, ce n’est pas un secret, tous les clubs de D1 n’ont pas les moyens de faire des contrats fédéraux à chacune de leurs joueuses, et encore moins d’attirer des joueuses de classe européenne ou mondiale par ce biais. En effet, même si le football français se développe bien et qu’à l’heure actuelle, dix clubs sur les douze qui composent le championnat de D1 sont rattachés à des clubs masculins (Albi et Soyaux sont les deux derniers), les budgets ne sont pas les mêmes pour tous, et encore moins ceux alloués aux sections féminines et au recrutement. Les clubs « pros » s’envolent et les autres n’ont pas les moyens de suivre… Alors même si à partir de la saison 2018-2019, les droits télé devraient permettre aux clubs de D1 de récupérer un peu d’argent, pas certain que cette somme puisse être suffisante à un « budget recrutement », ou que le club puisse la dédier à cela, car comme la FFF et Brigitte Henriques l’avaient souligné, cet argent devra être utilisé intelligemment afin que les clubs français continuent de se développer, au niveau des infrastructures et de la formation notamment.

 

La solution pourrait-elle se trouver chez des homologues plus ou moins proches du territoire français ? Peut-être pas, mais en tout cas, nous pourrions probablement y trouver un peu d’inspiration. D’abord avec le championnat américain, où pour faire court, les meilleures joueuses sont réparties d’une façon assez équitable dans chaque club. Ou encore, sur ce que la fédération anglaise va mettre en place à partir de la saison prochaine, avec un championnat entièrement professionnel de dix équipes. Pour cela, il faut bien sûr du temps, mais aussi un gros investissement de la fédération pour donner des moyens à tous les clubs.

 

Que jeunesse se passe… ou se prête
Dans l’ombre des stars qui viennent gonfler les effectifs des cadors du championnat, la jeunesse n’arrive pas toujours à se faire sa place. On pense à la sélection U20 de Gilles Eyquem (qui jouera la Coupe du Monde en France, durant l’été 2018), avec des joueuses talentueuses et pleine d’ambition, mais qui peuvent parfois manquer de temps de jeu car elles se retrouvent entre deux catégories, comme l’évoque la native de Melun : « C’est aussi dans cette tranche d’âge qu’il se passe normalement pas mal de choses au niveau de ta vie de joueuse. Tu franchis des paliers, tu emmagasines un peu d’expérience, mais si tu n’as pas le temps de jeu nécessaire, cela peut vite se compliquer ». Il y a aussi les plus jeunes encore… Parfois formées au club, elles ne parviennent pas à atteindre l’équipe fanion, et se retrouvent -quasi- forcées de partir pour trouver du temps de jeu ailleurs. Un mal pour un bien, puisque dans ce cas, la joueuse fera finalement le bonheur d’un autre club qui aura davantage besoin d’elle.

 

 

Lors de la rencontre contre le Paris Saint-Germain, le 10 décembre dernier, le Président lyonnais, Jean-Michel Aulas, s’est dit ouvert à l’idée de prêter certaines joueuses, car il sait que tous les clubs de la D1 ne peuvent pas investir autant pour recruter. Une option qui pourrait être une petite solution, et qui permettrait de donner du temps de jeu plus régulier à certaines jeunes -ou moins jeunes- d’ailleurs, mais aussi de combler un peu la différence de niveau qui existe au sein de la D1. Reste à savoir quelles seraient les conditions exactes de ce genre de « prêts », puisque dans un prêt classique c’est normalement le club accueillant la joueuse qui doit payer son salaire. Chose qui paraît impossible pour la majorité des clubs du championnat en l’état actuel.

 

 

Impact sur l’équipe de France ?
On pourrait penser que le fait d’évoluer en France permet aux joueuses étrangères de mieux analyser le style de jeu français, de mieux connaître les joueuses… Si il y a effectivement une part de vrai, il ne faut pas non plus tomber dans la paranoïa. Quelle que soit leur nationalité, les joueuses étrangères de la D1 sont là pour jouer, prendre du plaisir et « performer » avant tout, pas pour décortiquer la façon de jouer des Bleues ou potentielles Bleues, afin de livrer un carnet de notes détaillées à leurs différents sélectionneurs. Elles en parleront sans doute parce qu’on leur posera la question, mais elles n’ont probablement pas rejoint la D1 pour une « mission d’espionnage ».
Sonia Azyraj voit les choses un peu différemment, mais reconnaît volontiers que « les joueuses étrangères qui évoluent dans le top 3 de la D1 sont des joueuses de classe mondiale » et que « c’est génial de les avoir ici ». Malgré cela, l’ancienne coach de Saint-Brieuc voit aussi un côté un peu plus « négatif » et explique : « Par moment, je me dis que les étrangères sont peut-être dans des conditions qu’elles n’auraient pas dans leur pays. Je parle en termes d’infrastructures, d’aménagements, de finances, et parfois même d’un point de vue technico-tactique, notamment pour les Américaines ou Canadiennes, qui ont un style de jeu très différent à la base. Je pense qu’elles apprennent beaucoup en France, et qu’elles continuent leur progression. Je suis donc un peu mitigée parce que j’ai parfois le sentiment que cela aide plus les nations étrangères que notre propre équipe de France ».

 

Samedi dernier, lors de l’assemblée fédérale, Noël Le Graët, a fait part de son souhait de voir les meilleures équipes françaises faire jouer les meilleures joueuses françaises. Le Président de la FFF n’a d’ailleurs pas caché le lien avec les joueuses étrangères qui évoluent dans les clubs du Top français, en précisant qu’il trouvait ça très bien mais que c’était un peu trop. Noël Le Graët a déjà discuté de cette problématique avec Jean-Michel Aulas, et souhaite également le faire rapidement avec les Présidents du Paris Saint-Germain et du Montpellier Hérault. Également présente à l’assemblée fédérale, Sonia Haziraj confirme que Noël Le Graët « veut faire en sorte de trouver les solutions pour que la D1 reste attractive au-delà des frontières, mais qu’elle puisse davantage aider et servir l’équipe de France ».
La machine semble donc lancée pour trouver le juste équilibre, et tenter de préparer au mieux la Coupe du Monde 2019 en France, où les étrangères de la D1 seront probablement les meilleures ennemies des Bleues…

 

 

 

Propos recueillis par Sandrine Dusang

 

Crédit photos : Stéphane Guiochon/olweb.fr/DamienLG, MHSC

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