Isabelle Lamour : «Il y a une évolution»

Présidente de la fédération française d’escrime depuis 2013, Isabelle Lamour a perdu le mois dernier sa course à la présidence du CNOSF. Un épisode marquant, duquel elle est ressortie avec le sentiment d’être trahie. Pour Foot d’Elles, elle est revenue sur le scrutin et la place des femmes dans les instances françaises.

 

 

 

On l’avait quittée au début du mois de mai, après que les résultats de l’élection à la présidence du Comité National Olympique et Sportif Français (CNOSF), lui avaient confirmé sa défaite face au président sortant Denis Masseglia. Avec 556 voix, le Marseillais venait de battre Isabelle Lamour, qui avait rassemblé 385 votes (David Douillet, le troisième candidat, avait recueilli 54 bulletins). La présidente de la fédération d’escrime était alors entrée dans une colère aussi forte qu’inhabituelle au cours de la cérémonie. Beaucoup plus souriante et badine au moment de se confier à Foot d’Elles, Isabelle Lamour l’affirme : « Aujourd’hui je ne me reconnais pas dans une partie du mouvement sportif français ».

 

Foot d’Elles : Cela fait maintenant presque un mois que Denis Masseglia a été réélu à la tête du CNOSF, que retenez-vous de cette élection ?

Isabelle Lamour : « Beaucoup de choses. D’abord que ce fut une belle aventure, puisqu’on avait une belle équipe de campagne avait des gens qui se connaissaient bien et d’autres qui se côtoyaient moins, qui ont appris à se connaître pendant trois mois. On a monté un projet convaincant, nous étions tous enthousiastes… donc c’était une belle aventure, que je ne regrette absolument pas. De cette aventure sont nées de vraies amitiés. A côté de ça, je sais que notre quotidien préféré (elle désigne de manière sarcastique L’Equipe, NDLR), suite à mes déclarations instantanées… (sourire) m’a fait passer pour une mauvaise joueuse, mais je peux vous dire que quand on a connu le haut niveau, on ne perd jamais avec le sourire. Je suis une instinctive, j’ai un peu du mal à cacher mes sentiments. Je n’allais pas tous les remercier non plus, pour certains d’avoir voté pour moi, et encore moins pour d’autres de m’avoir menti.

 

Vous reprochez à certains élus de vous avoir tourné le dos ?

– Ce n’est même pas me tourner le dos puisque certains m’ont dit cash que mon projet ne les séduisait pas. Pour diverses raisons. Pour certains, c’était mon manque d’expérience à moi, qui dirige une fédé depuis seulement 4 ans. Ils estimaient que je n’avais pas suffisamment de bouteille, ou que j’étais trop jeune… Super, à 52 ans, moi, j’adore qu’on me dise ça (rire). D’autres ont justifié ça par le besoin de stabilité en vue des JO 2024, alors que moi j’avais pris des garanties, afin de savoir si mon engagement n’entraverait pas la candidature de Paris. Ce qui me révolte le plus, c’est quand j’en regarde certains dans le blanc des yeux, qui me disent « on va voter pour toi » ou qui m’appellent pour me dire la même chose et que finalement, quand vous faites le compte, je ne suis plus au-dessus des 500 voix, mais seulement à 385. Ça veut dire qu’il y a des gens qui m’ont menti, ça s’appelle une trahison.

 

Dans votre colère, justement, vous aviez menacé de poser un recours, le jour même. Pourquoi y avoir renoncé ?

– Je ne comprenais pas comment je n’avais fait que 385 voix, et je n’y arrive toujours pas. Vous imaginez bien qu’après le vote, j’ai passé des coups de fil, que j’ai refait le compte, et que le lendemain et le surlendemain, je n’arrivais toujours pas à ce total. Concernant le recours, c’était aussi une réaction impulsive. En fait, c’est Jean-Pierre Champion (l’ancien président de la fédération de voile, et membre de sa garde rapprochée, NDLR) qui m’a appelé pour me dire : « Bon écoute, tu arrêtes avec tes conneries, tu vas m’enlever ça ». Et je lui ai dit de s’arranger avec les gens du CNOSF. C’est lui qui m’a incité à ne pas réagir à chaud. Je vous avoue aussi que la commission d’évaluation (délégation du CIO qui avait comme objectif de visiter Paris afin d’évaluer la candidature française pour les JO 2024, NDLR) arrivait dans la foulée, et que je n’avais pas envie en plus qu’on dise que j’étais la cause d’un malaise, ou de problèmes quelconques. Je reprochais à certains de trahir, donc je n’allais pas mettre la candidature de Paris en porte-à-faux.

 

Pourquoi vous être présentée au départ ?

– Je voyais qu’à la fédé d’escrime, même du temps de mon prédécesseur, on votait tout en conseil d’administration. On fait 10 votes au moins par comité, à chaque fois qu’il faut prendre une décision c’est le bureau fédéral qui propose, après avoir consulté le comité directeur. La moindre des choses, c’est le processus démocratique. Mais au CA du CNOSF, on ne votait jamais rien. Et puis, alors que je pensais que quelqu’un d’autre allait se présenter, le temps passait, on se voyait, mais jamais personne ne faisait un pas. Et puis un soir, en comité restreint, avec Jean Pierre Champion notamment, je leur dis : « Si j’y allais, est ce que vous feriez confiance à une femme ? ». Ils m’ont regardé comme si ma question était stupide, et c’est parti comme ça. 

 

 

« Il y en a un qui ne pouvait pas voter pour une femme »

 

 

Le fait que vous vous posiez la question montre qu’il y a un sentiment de déséquilibre concernant la parité au niveau des instances dirigeantes…

– C’est évident. Je vais même vous dire quelque chose, il y a en a un avec qui j’ai été plus que sympa, qui ne peut pas voter pour une femme, ce n’est pas possible. Pourtant il n’aime pas Denis, mais pour lui ce n’était pas possible d’envisager de voter pour une femme.

 

C’est le seul dans ce cas ?

– En tout cas lui l’a dit, enfin pas à moi, puisque tout ce qu’il m’a assené c’est que j’étais sous la tutelle de mon mari (Jean-François Lamour, ancien escrimeur, et ministre des sports de 2002 à 2004, NDLR), mais on me l’a rapporté. Le pire peut-être dans tout ça, c’est que je ne lui en veux pas. Parce que c’est une autre génération… Par exemple mon père, qui était Italien, m’a un peu élevée comme ça, donc les réflexions machistes… Avec lui, c’était souvent sur le ton de la plaisanterie, même s’il était bien assis à table pendant que ma mère et ses filles s’activaient en cuisine (rire) ! Malheureusement mon père, qui est décédé l’année dernière et que je continue à pleurer -si j’ai fait du sport, c’est bien grâce à lui- quand je lui ai dit que je me présentais à la présidence de la fédération d’escrime (en 2013, NDLR), au début, il en rigolait parce qu’il pensait que je ne serai jamais élue. Quand ça a été le cas, il m’a fait la gueule pendant trois mois. Il pensait que ce n’était pas ma place. Donc les mecs qui ne votent pas pour moi je les comprends parce que je me demande toujours : « Est-ce que mon père aurait pu voter pour une femme ? ».

 

Est-ce que pour vous cette élection représente le manque de considération pour les femmes et le manque de parité au sein des instances dirigeantes du sport ?

– Cela a sûrement joué à la marge. Même si je ne pense pas que ce soit l’élément déterminant. Ça a probablement pesé dans la balance, pour une certaine génération. Mais peut-être que ça n’a aussi pas marché parce que je n’étais pas dans la bonne approche des choses, que je me concentrais plus sur mon projet et pas sur les petits arrangements politiques. Je pense que je suis trop cash pour certains. Il y en a qui n’aiment pas qu’on leur dise la vérité en face. Ma personnalité, au-delà de ma condition de femme, a donc peut-être joué contre moi, mais je ne sais pas faire autrement !

 

Depuis votre arrivée à la tête de la fédération française d’escrime, est-ce que vous pensez avoir fait évoluer la cause des femmes dans les instances sportives ?

– J’ai une DTN quand même (Laurence Vallet-Modaine, NDLR) ! Dans les fédérations olympiques c’est rare. Elles ne doivent pas être plus de quatre sur 36 fédés. On a une femme secrétaire générale et une autre médecin général. Donc chez nous, les femmes sont assez présentes, et ça ne pose de problème à personne. Dans les autres fédérations, je ne connais pas assez leur mode de fonctionnement, donc je ne m’avancerai pas. Tout ce que je sais c’est qu’au foot, ils font beaucoup pour le sport féminin. Et d’ailleurs, je me réjouis de voir Brigitte Henriques au bureau du CNOSF, qui essaie de faire bouger tout ça. Je sais que Noël Le Graet en a fait un axe important de son travail depuis son premier mandat.

Vous suivez le foot féminin en France ?

– Vous savez, moi, je regarde tout, je m’intéresse à tout. En escrime, il y a la parité, donc pour nous depuis 15-20 ans ce n’est plus un sujet, on apprécie autant les épreuves féminines que masculines. A la maison on consomme beaucoup de sport, donc dès que ça passe à la télé on suit, surtout le rugby. On est bon public, que ce soit les filles ou les garçons.

 

Pensez-vous que le foot féminin français soit assez mis en avant ?

– Je le sais parce qu’on a pas mal d’anciennes escrimeuses qui travaillent à la fédération française de foot. Florence Hardouin, la Directrice Générale, ou encore Frédérique Jossinet par exemple. Récemment j’ai rencontré Brigitte Henriques (vice-présidente de Noël Le Graet), donc je sais le travail de fond qui est accompli pour le foot féminin. Voilà pourquoi je sais qu’au foot ça bouge pas mal, mais j’imagine que dans d’autres disciplines, c’est le cas aussi.

 

On parle souvent de sous-médiatisation du foot féminin, peut-on utiliser ce terme quand on compare la diffusion de celui-ci à d’autres sports, comme le basket, le rugby, ou l’escrime ?

– Il y a une sous-médiatisation par rapport à tout ce qu’on voit de foot masculin. Il n’y a pas photo. Même s’il y a des efforts de faits pour l’instant, il me semble qu’on ne parle pas beaucoup de football féminin à la télé, même si je ne suis pas experte dans ce domaine. Mais il faut rappeler qu’elles partent de loin les pauvres, puisqu’il y a une sur-médiatisation du football masculin depuis longtemps déjà. C’est plus facile d’avoir une certaine parité dans des disciplines moins médiatisées, on a plus de chances d’avoir un équilibre. Donc c’est vrai, même si comparé au foot, on voit très rarement de l’escrime à la télé.

 

Vous avez changé d’avis sur l’importance de ce combat pour l’égalité entre les femmes et les hommes au sein du mouvement sportif français ?

– Oui totalement. Ces quatre années d’expérience ont été fondamentales dans ma prise de position sur le sujet. Ça m’a ouvert les yeux sur un certain nombre de choses. Juste après mon élection je vous aurais dit que ce n’était pas mon domaine, la féminisation des instances. Aujourd’hui, en me présentant à la présidence du CNOSF, je voulais aussi montrer aux femmes qu’on pouvait y aller, et que même si j’avais pour ambition de gagner, le fait d’avoir 40% des fédérations qui m’ont fait confiance prouve qu’il y a une évolution, et qu’il faut essayer. Moi aussi je suis capable d’avoir des idées, de mettre en place un projet et de fédérer une équipe. Il faut juste un petit coup de pouce qui fait que les femmes ont envie de s’engager».

 

 

Propos recueillis par Vincent Roussel

Crédits photos : Laurence Masson Photographie/ Marie-Lan Nguyen

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