Football et culture de masse : horizon sociétal

Alors que le film Alex & Me, mettant en scène Alex Morgan jouant son propre rôle, s’apprête à sortir en juin en direct-to-DVD – enfin Blu-Ray, nous sommes en 2018 -, Foot d’Elles s’est interrogé sur la place du football pratiqué par les femmes dans la culture populaire. Tour d’horizon !

Paysage

Le sport, en général, conjugué au féminin comme au masculin, a très vite dépassé l’unique but de se dépenser et se dépasser. Qu’il soit collectif ou solitaire, il aborde bien d’autres aspects sociétaux cruciaux, social, politique, philosophique. Dès lors, rien d’étonnant que de voir le football être largement dragué par l’excellence de la culture populaire, entendue ici comme culture de masse. Ainsi, on voit régulièrement le Beau Jeu s’afficher en caméo dans un film, voire jouer le premier rôle dans une série ou un jeu vidéo.

Et les cas sont nombreux : on pense ici à Starbuck, la comédie surprise québécoise sorti en 2011 avec Patrick Huard, dont le héros éponyme est un féru de football, à Looking for Eric, la comédie absurde du grand Ken Loach avec le grand Cantona, Shaolin Soccer, ou encore Club de Cuervos, série américaine sur Netflix où un frère et une soeur se disputent la direction d’un club mexicain à l’agonie.

Dans le jeu vidéo, évidemment on pense à FIFA et PES, les deux grands concurrents qui se déchirent tous les ans le marché vidéoludique, mais c’est aussi oublier que l’histoire du jeu de football remonte à avant l’apparition des consoles de salon, sur des bornes d’arcade où l’on ne pouvait contrôler qu’un seul joueur.

Dans la musique, on pense à You’ll Never Walk Alone, de Gerry and the Pacemakers, l’hymne de Liverpool, l’incontournable des soirées We are the Champions by Queen, en passant par Tous Ensemble, interprété par Johnny ou même, simplement, l’hymne de la FIFA et de la Champions League.

Aucune prétention à établir ici une liste exhaustive : le football a la cote auprès du grand public, peu importe le média. La plupart du temps, il s’agit cependant du football pratiqué par les hommes qui explore différents sujets. Prétexte ou central, le football permet d’explorer les émotions, l’évolution sentimentale, les prises de responsabilités, la transmission des valeurs sportives, le passage à l’âge adulte, à travers des ressorts dramatiques ou comiques assez classiques au final. Il a fait naître les pires navets mais aussi de grands films et de grands moments culturels.

Oasis

Dans ce paysage finalement assez riche, un léger hic : où sont les femmes, comme disait la chanson – à moins que… -.

Elles sont bien présentes, mais à petites doses. Là où elles foisonnent le plus, c’est en Amérique du Nord, sans grande surprise, avec une culture soccer et soccer féminin bien plus accentuée qu’en Europe. Aux US, notamment, pris de la fièvre USWNT depuis 1991, bien que moins nombreux, les films et séries mettant en scène le football pratiqué par les femmes reprennent les codes classiques du film de sport, avec des éléments comiques et dramatiques.

En Europe, le panel est légèrement différent, avec un aspect plutôt militant. L’héritage masculin du football en Europe explique cette différence : là où les joueuses de football côtoient les danseuses en tutu aux Etats-Unis et au Canada, il y a un véritable acte militant à revêtir le maillot fièrement en France et en Europe.

Dépassement et adversité

On le voit dans Bend it like BeckhamJoue-la comme Beckham, en français dans le texte -, récompensé par l’ESPY du meilleur film sportif en 2003 et qui a été transposé en comédie musicale en 2015, ou encore plus récemment dans Comme des Garçons. Il y a une volonté d’affirmation d’une identité qui se dissimule derrière celle de la footballeuse : celle d’une femme, à la recherche de reconnaissance, en jouant sur un terrain masculin par excellence. C’est bien là les combats communs de nombreuses femmes dans les sociétés mondiales. Le sport est ici le terrain d’un affrontement, d’une conquête d’une identité, devenir une femme et ne pas rester une fille. Comme pour beaucoup de choses, l’affirmation passe par l’action de prouver sa valeur, d’autant plus lorsqu’on est en terrain conquis.

Il est rare de voir une femme être une sportive accomplie dans les films. On passe souvent par la phase d’apprentissage avant le triomphe et c’est bien souvent le sujet même des films. Mais dans Gregory’s Girl, un film britannique sorti en 1980, le héros tombe éperdument amoureux de Dorothy, qui est tout ce qu’il n’est pas : assurée, assumée, confiante, la nouvelle attaquante de l’équipe du lycée conquiert immédiatement le coeur de l’infortuné gardien boutonneux. Malheureusement, on tombe très rapidement dans le cliché de la femme sur un piédestal, dont le statut inaccessible rend la conquête bien plus excitante.

Les femmes dans le monde du football sont aussi mises en avant, comme dans Offside, film iranien de 2006, qui raconte comment un groupe de filles tente d’infiltrer un stade. Comme on le sait, l’arène est réservée aux hommes, et Offside raconte une lutte bien réelle, comme on a pu le voir récemment.

Les documentaires viennent aussi à la rescousse des joueuses, avec le très documenté When Football Banned Women, sorti en 2017, qui raconte l’histoire méconnue et liée à l’Histoire, de la passion anglaise pour le football pratiqué par les femmes, en 1920. C’est une histoire vraie, centrée sur une fabrique à munitions à Preston, Lancashire. A cette époque, les femmes pouvaient faire bouger les foules et jusqu’à 60 000 supporters venaient les voir dans les stades. Elles ont pris une telle place que leurs matches permettaient de lever des fonds pour l’effort post-guerre. Lily Parr, leur meilleure joueuse, a été un jour défiée par un gardien qui la raillait et pariait qu’elle ne pouvait pas marquer contre lui. Le tir qu’elle lui décoche lui brisera le poignet. Et pourtant, la FA bannit ensuite les femmes du gazon. Discréditées dans leurs efforts, les joueuses se sont retrouvées à jouer dans des arrière-cours, sur des terrains non-homologués par la FA, et condamnées à pratiquer un sport qui se devait d’être auto-géré et régulé. Heureusement, en un siècle, la situation a changé, mais on est encore loin des records de 1920 dans les stades.

Role Model

Aux USA, la tendance est inversée : que l’on parle du prochain film où Alex Morgan jouera Alex Morgan et permettra à une jeune fille de redynamiser sa carrière mais aussi s’affirmer en tant que fille, comme les différentes actions mises en place pour promouvoir les joueuses via la culture de masse, les joueuses sont des héroïnes qui inspirent les jeunes générations. Alex Morgan n’est pas étrangère à ce terrain : elle est déjà l’auteure de plusieurs livres et d’une biographie à destination du jeune public. Alex & Me sera certes en Direct-to-BluRay, mais il voit le jour sous l’égide de Nickelodeon, une chaîne spécialisée jeunesse dont la renommée est mondiale.

A Portland, Oregon, où évolue une des équipes d’élite de la NWSL, les Thorns, un dessinateur a récemment passé au crayon Tobin Heath et Christine Sinclair, les deux internationales stars des Thorns, qui figurent également sur des écharpes, aux côtés de leurs homologues masculins des Timbers. Le Seattle Reign FC, leur voisin d’état, lance un programme où les joueuses deviennent des héroïnes de cartoon. Quand on voit les foules qui se pressent au stade et qui comportent de nombreux enfants, peu importe leur genre, ce type d’initiative a de quoi plaire.

C’était également le cas avec espnW, la chaîne centrée sur les athlètes féminines du surpuissant groupe ESPN, qui a lancé un partenariat spécial avec Marvel, pour son Impact25, la liste des 25 personnalités féminines influentes du pays. Elles sont devenues littéralement des super-héroïnes et la lauréate du soulier d’or de la Coupe du Monde, Carli Lloyd, côtoie Serena Williams et Ronda Rousey. Pour l’occasion, Lloyd porte un maillot qui rappelle l’uniforme de Captain Marvel, “capitaine merveille” en Français, au-delà de la référence à l’héroïne de comics. On retrouve également Loretta Lynch, qui a mena la charge contre la FIFA en 2015, accusant 14 officiels de corruption. Dans son propre portage comics, elle porte un ballon et une épée, son double héroïque est aveugle et porte un bandeau dissimulant son regard : pas de doute, Lynch est devenue l’incarnation de la justice, aux yeux de Marvel et d’espnW.  

Récemment, dans la série CBC diffusée sur Netflix 21 Thunder, qui se concentre sur un club fictif de Montréal, on voit apparaître une coach. Qui a un rôle, un vrai. C’est la première coach féminine de la MLS – cette décision scénaristique se doit d’être absolument saluée -, incarnée par Stephanie Bennett, une actrice canadienne née à Vancouver, Colombie-Britannique, pas très loin d’une certaine ville de Burnaby, où est née la légende du soccer féminin, Christine Sinclair. Pour les besoins de la série, elle s’intéresse au football, en particulier pratiqué par les femmes, et a été immédiatement fascinée par Sinclair, sa présence, sa confiance, sa dédication à son sport. Elle se réclame de son influence dans la création et l’évolution de son personnage : “Elle est si humble, et si gentille, mais en même temps si forte, sans faire aucun effort. Sa présence sur le terrain montre à quel point elle sait qu’elle est là grâce à tous ses efforts et sa dure labeur. Et je peux vraiment m’identifier à cela.” Emmanuel Kabongo renchérit sur les qualités de jeu des femmes et surtout sur leur caractère, à ne jamais simuler sur le terrain. L’admiration sincère des acteurs fait écho à celui de la foule et on voit comme en Amérique du Nord, les femmes font parties de la culture football.

Les représentations dans la culture de masse des femmes qui jouent au football, ou des femmes faisant partie intégrante du monde du football, sont un reflet sociétal qui montre la façon dont les femmes sont traitées et de la manière dont la société pense ses rapports au féminisme. Plus virulent et militant en Europe et en Orient, plus naturel et chaleureux pour l’Amérique du Nord.

 

Crédits images : Nickelodeon, Netflix, Working Title, Marvel, espnW, Canada Press

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