Foot chinois : Un apprentissage assez long (2/3)

Avec la création d’un championnat qui attire aujourd’hui espoirs et joueuses d’expérience au détriment des clubs européens, la Chine a (enfin) développé un modèle attractif, presque à l’image du Vieux Continent, car surtout basé sur l’argent. Prisé par les coaches français, également appréciés sur place, ce modèle rejaillit en partie sur l’équipe nationale.

 

 

 

Revoir le premier épisode de notre série, avec Elisabeth Loisel

 

« Rien ne remplace la compétition non plus », nous disait l’ancienne sélectionneure de l’équipe de Chine, Elisabeth Loisel, il y a peu. Et si cette dernière était partie à cause de dissensions trop prégnantes avec la fédération chinoise de football, concurrencée par des voisins qui ont finalement pris le monopole dans la région (Japon, Corée du Nord et Corée du Sud), il semble toutefois que cette dernière ait fini par entendre les arguments de la Française. Puisqu’en 2015, après des années passées sous forme de mini-compétitions, la fédération décide de renommer le championnat local « Women’s Super League », et d’en changer les règles. Relégations et promotions font toujours partie du lot, mais désormais, ce sont huit équipes qui s’affrontent en première division, et huit en deuxième division. Souvent calqués sur le modèle français, c’est-à-dire en supplément d’une équipe masculine, ces clubs sont tous installés dans l’est de la Chine, de Pékin à Shangai, souvent sur les bords de la mer de Chine orientale.

 

« La Chine m’a réveillé ! »

Preuve que « l’épisode Loisel » ne les a pas rafraîchis non plus, les dirigeants du foot féminin chinois décident, toujours en 2015, de réinstaller un Français à la tête de l’équipe. Il s’agit cette fois de Bruno Bini, encore un sélectionneur débarqué en 2013 de l’équipe de France, avec qui il a atteint les demi-finales de la Coupe du Monde 2011 et des J.O 2012. Auparavant sondé, Patrice Lair avait décliné la proposition des « Roses de Fer » : « Je ne me sentais pas de partir là-bas, pour plusieurs raisons, raconte aujourd’hui l’entraîneur du PSG. Si demain tu me dis d’aller en Espagne, le soleil bleu, tout ça… Pourquoi pas ! Mais je n’ai pas envie d’être dans la pollution, d’avoir beaucoup de monde autour, etc… Déjà, je n’habite pas à Paris mais en banlieue, où il y a moins de monde, une forêt à côté… J’aime bien respirer ! Et puis je sais que ma femme ne partirait pas en Chine. Là-bas, c’est vrai que financièrement tu prends un pactole, mais ce qui me gonflait c’était ce manque de puissance pour pouvoir rivaliser avec des grandes nations dans les compétitions. Cela jouait peut-être un peu trop en possession pour moi, qui aime bien alterner jeu long et jeu court ».

Pour Bruno Bini, alors très marqué par son éviction à la tête des Bleues et la longue période de chômage qui a suivi, c’est tout le contraire : « La Chine m’a réveillé ! », expose-t-il même à La République du Centre, alors que sa nomination vient d’être actée. Ses premiers résultats sont clairsemés, en témoigne cette victoire acquise contre les Etats-Unis (1-0) quelques semaines après sa prise de fonction, suivie de deux revers face au Canada et à la France avant l’arrivée aux Jeux Olympiques en 2016. La présence des Chinoises à Rio est déjà une belle victoire, tout comme la qualification en quart de finale acquise contre le Cameroun, malgré une défaite logique cette fois contre les championnes du monde en titre (0-1).

 

Le Sommer, Delie et Diani approchées

« Les attentes sont importantes et nous savons quelles sont nos responsabilités, déclare-t-il à l’entrée de la compétition, dans des propos rapportés alors par 20 Minutes. Nous ne sommes peut-être pas aussi fortes que d’autres équipes, mais nous travaillons plus dur. (…) Les Chinoises travaillent plus dur et se plaignent beaucoup moins que les Françaises », explique-t-il ainsi. Mais il y a peu, l’idylle s’est aussi conclue dans le fracas pour Bini, dont on dit que le management décrié, et les résultats finalement pas assez bons aux yeux des dirigeants asiatiques, lui auraient finalement coûté le siège. Son remplacement en novembre dernier par l’Islandais Siggi Eyjolfsson n’a pas signé pour autant la fin des entraîneurs français dans l’Empire du Milieu, puisque l’ex coach du PSG Farid Benstiti (remplacé par… Patrice Lair), est venu s’installer la saison passée aux commandes du Dalian Quianjiann, dans une équipe symptomatique de l’évolution du championnat chinois aujourd’hui.

Située à l’est de Pékin, dans la province du Liaoning, la formation s’était illustrée avec le recrutement de deux grandes joueuses (soit le maximum d’étrangères autorisées dans une équipe) qui avaient déjà fait leur preuve sur la plus prestigieuse scène du foot mondial- en Europe : Gaëlle Enganamouit (Rosengard) et Asisat Oshoala (Arsenal). Un mélange qui a porté ses fruits, puisque le Dalian Quanjiann a remporté les deux derniers championnats, et réalisé le doublé en soulevant une des deux coupes nationales avec Benstiti la saison passée. D’autres étrangères étaient arrivées chez les concurrents, comme la Norvégienne Isabell Herlovsen, passée à Lyon lors de la saison 2009-2010 et l’internationale brésilienne Gabi Zanotti. Installées début 2017, elles sont reparties en fin de saison du Jiangsu Suning. Mieux, il y a quelques mois, c’est la Parisienne Cristiane, qui a fait ses valises pour faire profiter au public chinois de son pied gauche délicieux, du côté du Changchun Dazhong, dauphin de Dalian en 2017. Un gros coup pour le foot chinois, qui avait déjà essayé d’attirer, selon les rumeurs, pas mal de joueuses du championnat français à cette époque. La Parisienne Marie-Laure Delie, la Lyonnaise Eugénie Le Sommer, et l’attaquante d’alors du FCF Juvisy Kadidiatou Diani auraient été approchées.

 

Fini pour Bini, Prêcheur et Benstiti s’installent

Rebelote cette année, où c’est cette fois l’ancienne capitaine du PSG Shirley Cruz qui a été débusquée lors du mercato hivernal. « Ici elle aurait fait des bouts de match, sans être titulaire, et elle n’aurait pas eu la chance de signer le même contrat. C’était le moment ! Elle était contente, c’était une belle aventure pour elle. Finir comme ça, ça lui plaisait », explique Patrice Lair, alors que la milieu de terrain de 32 ans restait amoindrie par des problèmes récurrents aux genoux, malgré une opération subie l’été dernier au Costa-Rica. « C’est une grande professionnelle, une joueuse d’expérience et de haut niveau que j’apprécie tout particulièrement », se réjouit Gérard Prêcheur, dernier entraîneur français en date à avoir franchi le pas pour s’installer de l’autre côté de la planète, après deux triplés (Championnat-Coupe-Ligue des champions) glanés avec l’OL. Il est arrivé en Chine début janvier après plusieurs allers-retours fin 2017.

 

« J’ai des bonnes footeuses ! »

 

En décembre dernier, l’ex Directeur Technique National à la FFF s’est engagé pour deux saisons avec le Jiangsu Suning Ladies Football Club. « Il y avait besoin de reconstruire et aussi besoin de reformer parce qu’apparemment ils avaient pas mal de jeunes joueuses assez douées, des internationales de bon niveau et des joueuses techniquement très fortes. Ce qui les intéressaient, c’était mon expérience et mes compétences, les résultats obtenus pendant 3 ans avec l’Olympique Lyonnais, et aussi ma carrière de formateur à la fédération. Ca va me permettre de reconstruire cette équipe et surtout de former leurs entraîneurs », explique le coach lorrain.

Troisième du dernier championnat, et vainqueur de l’autre coupe nationale l’année passée, le club, propriété du groupe Suning, devenu récemment propriétaire de l’Inter Milan, et aussi très actif sur le marché masculin chinois- le club avait notamment attiré l’ancien joueur de Chelsea Ramires, et un autre Brésilien, l’espoir Alex Texeira –affiche des ambitions élevées. « On doit faire au moins aussi bien que l’année passée », explique Prêcheur, qui raconte : « Il faut savoir que Suning c’est une des plus grosses boîtes en Chine, l’équivalent d’Amazon combiné à Bouygues. C’est énorme ». Déjà arrivé sur place, il se félicite du niveau technique de ses joueuses : « C’est vif ! Tactiquement, bien sûr mes exigences en terme de jeu les interpellent, elles n’y sont pas habituées, mais on sait très bien que leur limites sont principalement dans le domaine athlétique. Elles n’ont pas de gros gabarit, il y en a même quelques-unes qui sont des « Pim’s » comme on dit, mais j’ai des bonnes footeuses ! ».

 

Des investisseurs qui agissent sous l’impulsion de l’Etat…

Et concernant les manques tactiques qu’évoquaient, il y a dix ans, Elisabeth Loisel, l’ancien milieu de terrain développe : « Ca a évolué, on a des joueuses qui sentent le football, qui jouent un peu comme les garçons. Leur niveau tactique a évolué, mais il y a encore une grosse marge de progression. Surtout dans la possession de balle, et dans le domaine défensif ! ». Un discours qui rejoint celui donné quelques semaines plus tôt par Farid Benstiti à L’Equipe : « J’ai été agréablement surpris car je ne m’attendais pas à un tel niveau. Il y a huit équipes et six peuvent être championnes. C’est très enthousiasmant pour un entraîneur. Et puis l’arrivée de joueuses étrangères augmente largement le niveau global. Le niveau des joueuses chinoises est également très bon donc le championnat est intéressant », racontait l’ancien tacticien lyonnais. Preuve que la greffe et l’investissement opérés depuis quelques années par les dirigeants des clubs commencent à prendre, surtout lorsque le puissant Etat chinois pousse aussi de son côté…

 

 

 

Sauf mention, tous propos recueillis par Vincent Roussel

Crédits photos : A. Martin – L’equipe / Jiangsu Suning Ladies Football Club / Capture d’écran Twitter / Xinhua – Xia Yifang

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