Femmes arbitres : « les choses évoluent doucement »

Solenne Bartnick est arbitre de foot depuis plus de 20 ans. Elle était en décembre à la Coupe du monde féminine des U20 en Papouasie Nouvelle-Guinée. Elle revient sur son parcours et l’évolution du foot féminin.

 

 

 

 

 

Vous êtes devenu arbitre à 14 ans, pourquoi ce choix ?

Solenne Bartnick : « Je jouais au foot auparavant, avec des garçons. Mais à 14 ans, je ne pouvais plus, donc soit je rejoignais une équipe féminine, soit j’arbitrais. La seule équipe autour de chez moi était très portée sur la compétition et je voulais continuer de jouer pour le loisir, donc j’ai fait mon choix, en me disant que ce serait facile puisque je connaissais les règles… En fait j’en ai beaucoup appris depuis!

 

Comment avez-vous ensuite franchi les étapes de l’arbitrage ?

– J’ai évolué avec l’âge. J’avais 14 ans au début donc j’ai arbitré les U13 (garçons), et ainsi de suite, jusqu’aux seniors, où je suis passée à 22 ans. En 1994, j’étais en district, je suis passé à la Ligue en 1997, puis à la Fédération en 2005 jusqu’à devenir arbitre assistante internationale de la FIFA en 2010.

 

Vous avez commencé par l’arbitrage des garçons puis avez évolué vers les filles…

– Je fais les deux, comme toutes les arbitres. Je suis passée aux féminines quand j’ai rejoint la Fédération. J’ai passé les examens pour la filière masculine, mais j’étais 26e, et ils en ont pris 25 ! Et je ne suis pas sûre que j’aurais réussi les tests physiques : ils demandent la même chose aux femmes qu’aux hommes, mais on n’a pas le même corps ! On peut s’imposer sur le terrain de la même façon, mais on n’a pas les mêmes performances physiques, et souvent pour nous c’est plus difficile de nous entraîner, avec le boulot, la vie de famille… Pour moi, désormais c’est trop tard, j’ai dépassé les 30 ans (elle en a 36, ndrl).

 

Comment réagissent les hommes, joueurs, dirigeants ou spectateurs, qui vous voient arriver sur le terrain ? Les réactions ont-elles évoluées ?

– Ce n’est pas évident de s’imposer, surtout que moi j’étais très timide. Mais c’est peut-être plus facile pour une femme, car il y a un respect et une tolérance plus grande de la part des joueurs, des dirigeants et des spectateurs. On est peut-être plus protégé, car ils vont moins contester, et s’ils croient qu’on fait une faute, que ce soit vrai ou faux d’ailleurs, ils vont dire « c’est pas grave c’est une femme » et davantage laisser passer. C’est pas forcément agréable mais ça permet que le match se déroule bien, sans contestation…

 

Constatez-vous des évolutions depuis que vous avez commencé ?

– Déjà, il y a plus de femmes arbitres : la Fédération a fait beaucoup. Il y a eu la création de la D2 féminine aussi : avant c’était des hommes qui arbitraient, maintenant il y a la fédération arbitrale féminine 2 avec la possibilité de passer en D1 à l’intersaison selon les performances. Comme pour la Ligue 1. Il y a aussi des stages organisés pour nous avec des préparateurs physiques, des tests médicaux, un peu comme pour les joueurs : tout ça n’existait pas en 2005 quand je suis arrivée. Il y a un meilleur suivi.

 

Et au niveau financier ?

(Elle rit) On est très très loin des garçons ! Mais ça progresse… doucement ! Des fois on est augmenté de 2 ou 3€. Des fois de 20€. Les primes de match sont vingt fois moins importantes que les arbitres hommes, mais ça progresse… Par exemple au début on était limité à 450 kilomètres : qu’on en fasse 450 ou 1 000 on était payé pour 450. Aujourd’hui, c’est monté à 700 km, donc on est payé pour presque tous nos déplacements. Il faut voir le positif !

 

Mais on ne peut pas en vivre ?

– À notre niveau non. Ou alors il faut arbitrer tous les week-end, mais on n’est pas professionnelles, donc on n’a pas d’indemnités de la Sécurité sociale si on se blesse. J’ai une collègue qui s’est rompu les ligaments et qui est arrêtée depuis un an et demi, heureusement elle avait un travail… Les hommes ont un système pour ça, je crois. Mais, moi, j’aime mon travail et je ne voudrais pas faire que du foot. J’ai un Bar-PMU avec mon copain, ça me change, tout en me laissant libre de partir à n’importe quel moment : si on n’est pas disponible, on ne peut pas devenir arbitre internationale !

Mais, de ce côté-là aussi il y a eu une évolution : avant on était obligé de prendre des congés sans solde ou des vacances pour partir, maintenant la Fédération compense jusqu’à 30 jours d’absence à l’employeur. C’est une facilité qui va dans le bon sens pour celles qui sont salariées.

 

Pouvez-vous nous citer votre meilleur souvenir en tant qu’arbitre ?

– Il y en a tellement… Les amitiés, les fous rires avec les collègues… un seul ? La sélection pour la Coupe du monde (U20 en 2016 ndlr), ça je m’en souviendrai toute ma vie. La Fédération m’a appelée pour me demander si j’étais disponible du 13 novembre au 3 décembre. J’ai dit oui, et c’est quand j’ai raccroché que je me suis dit, « la Coupe du monde ». Je n’avais jamais pensé que je pouvais être sélectionnée, je pensais que ce serait Manuela Nicolosi, qui avait déjà l’expérience de Coupe du monde. C’est une fierté, car pour arriver à ce niveau-là c’est beaucoup de travail et d’entraînement.

 

 C’est à dire ?

– Je m’entraîne 4 ou 5 fois par semaine, je coupe le samedi et j’ai match le dimanche. Je m’organise comme je peux. Le matin, je vais ouvrir le commerce à 6h du matin avec mon copain et vu qu’à cette heure-là c’est calme je le laisse seul et je pars courir. Forcément à 6 h du mat’ j’ai du mal à trouver des gens pour venir avec moi, donc je m’entraîne seule, mais je demande des conseils à des préparateurs physiques que je connais.

 

 

Et le pire souvenir ?

(Sans hésiter) Les insultes surtout. Moi j’ai l’habitude, mais ça me fait mal quand je sais que ma famille est là, mon père vient à presque tous mes matchs, et eux je sais que ça leur fait un pincement au cœur, donc quand ils sont là, c’est dur. Heureusement ce n’est pas tous les jours, mais il y a toujours des « petits cons » qui sont là plus pour insulter l’arbitre que pour regarder le match. Mais, ça c’est pareil pour les arbitres hommes.

 

L’événement des Quatre saisons du sport féminin commence ce mois-ci (lire ci-dessous), au niveau de la médiatisation du foot féminin, vous sentez une évolution ?

– En douze ans ça a beaucoup évolué. Au début il n’y avait pas beaucoup de médias sur le bord des terrains des féminines, maintenant tous les matchs sont filmés, et au moins un par journée est diffusé à la télé. On peut aussi revoir tous les buts dès le lundi sur le site de la fédération. Il y a une réelle progression, et les gens apprécient, mes clients m’en parlent.

 

Et au niveau des arbitres ?

– En interview, ce sont toujours les joueuses. Nous on parle parfois à quelques magazines, mais c’est très rare.

 

Hormis Stéphanie Frappart…

– Oui quand elle a accédé à la Ligue 2 parce que c’était la première femme au centre à ce niveau-là, mais on n’en parle plus aujourd’hui. Pour cela il faudrait qu’elle accède à la L1, et je sais qu’elle fait tout pour y arriver, mais c’est quand même difficile.

 

Qu’est ce qui pourrait faire bouger les choses, selon vous ?

– La médiatisation, il n’y a que ça ! Plus on en parle, plus ça peut donner envie à des filles de commencer le foot et plus ça donne l’idée à des clubs d’embaucher des femmes. On l’a vu avec Corinne Diacre à Clermont-Ferrand, ça peut donner des idées à d’autres… Après, au départ les filles préfèrent jouer qu’arbitrer ce que je comprends, et comme maintenant il y a beaucoup plus de clubs et d’équipes féminines… Elles peuvent, et tant mieux! Car pour devenir arbitre il faut le caractère, on est seule (ou 3) dans notre équipe, donc quand on a l’habitude du sport collectif, ça change ! »

Propos recueillis pas Lucie TANNEAU pour Foot d’Elles.

 

Les Quatre saisons du sport féminin : pour plus de sport féminin à la TV… et plus de filles sur les terrains de sport

Le sport féminin à la télévision ? Il faut toujours le chercher, et s’y intéresser pour en trouver. Mais depuis quatre ans, la part globale d’événements sportifs féminin à la télévision a progressé. Le sport féminin représente ainsi 14% des événements sportifs retransmis à la télévision, contre 7% en 2012, selon les chiffres du ministère des sports.

Depuis quatre ans, un événement s’attache à faire progresser ce chiffre : Les Quatre saisons du sport féminin (anciennement les 24 heures du sport féminin). Dès ce week-end, de nombreux partenaires vont s’investir ensemble pour faire avancer le sport féminin dans les médias (CSA), en pratique (ministère de la Ville, de la Jeunesse et des Sports et CNOSF) et pour faire changer les habitudes, afin que toutes les filles puissent faire du sport, sans stigmatisation ou stéréotypes sexistes.

Le Ministère des Familles, de l’Enfance et des Droits des Femmes remettra en fin d’année les Trophées du sport féminin. En décembre dernier, Stéphanie Frappart, arbitre internationale et collègue de Solenn Bartnick a été récompensée.

 

 

Crédit photo : OM.NET

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