Débrief’ des consultants après France-Islande : « Les Bleues ont su puiser dans leurs ressources »

L’équipe de France a réussi son entrée dans l’Euro 2017 mardi soir, en battant l’Islande (1-0). L’entraîneur sojaldicien Sébastien Joseph et l’ancienne joueuse de Soyaux Amandine Guérin, reviennent pour Foot d’Elles sur la rencontre, apportant leurs regards sur la discipline.

 

 

Depuis qu’il est adolescent, Sébastien Joseph, devenu il y a peu le nouvel entraîneur de l’ASJ Soyaux, ne rêve que de coacher. Un travail qu’il peaufine depuis une dizaine d’année, ayant d’abord officié du côté de Grenoble (au GF38 puis à Seyssinet), avant d’atterrir à la FFF au sein du district des Alpes, en 2010. Arrivé à Rodez en 2015, il avait obtenu une cinquième place qui lui avait permis d’obtenir le titre de meilleur entraîneur de D1 par la rédaction de Foot d’Elles.

Notre seconde consultante est une joueuse que Sébastien Joseph a déjà croisée sur les terrains de D1, Amandine Guérin, l’ancienne gardienne de l’équipe de France B, qui a dû stopper sa carrière à cause de problèmes cardiaques à… Soyaux. Ancienne de l’OL, la native de Bordeaux, qui avait fait des adieux déchirants à sa passion à seulement 22 ans, est depuis passée dans l’encadrement du club. Elle est entraîneure des gardiennes U19 et coachera celles de l’équipe première la saison prochaine. 

 

Quels éléments vous ont plu lors de l’entrée en lice victorieuse de la France face à l’Islande ?

 

Sébastien Joseph : << Sur l’entame de match, je trouvais que l’idée d’associer les deux Montpelliéraines (Karchaoui et Le Bihan) côté gauche était intéressante, ça facilitait les automatismes, les transmissions et la circulation. Sinon j’ai bien aimé l’abnégation des Bleues pour aller chercher la victoire. L’important c’est de prendre des points, surtout dans une entame de compétition où il faut tout de suite se placer en tête et surtout éviter de griller un joker d’entrée de jeu, ce qu’elles ont évité ce soir (lire hier). Côté islandais, je retiendrais surtout le bloc équipe et sa solidité !

Amandine Guérin : Pour moi, c’est la deuxième mi-temps en général, après un premier acte un peu ennuyeux. Les Françaises ont mis une grosse pression sur leurs adversaires. Sinon, j’ai également apprécié le coaching d’Echouafni. Il a toujours fait des choix offensifs, même lorsqu’il y avait 0-0 (75′), alors qu’il aurait pu essayer de conserver le score. Il a choisi de faire entrer de nouvelles joueuses offensives, il n’a pas eu peur.

A l’inverse, qu’est-ce qui vous a déplu ?

 

S.J : La blessure de Clarisse Le Bihan, je trouve ça dommage que cela se soit fait comme ça en début de tournoi. Sinon le sur-engagement, notamment en première mi-temps, des islandaises. Qu’il y ait de l’impact, de la combativité, c’est normal, sauf que là j’ai trouvé que c’était plus que limite, surtout que cette fois on ne sentait pas vraiment de la maladresse, mais la volonté de faire mal. Il n’y avait aucune retenue dans les gestes, dans les courses et je trouve cela regrettable. Je pense qu’elles étaient rentrées en se disant que si elles attendaient la France, elles se feraient bouffer, et qu’il fallait leurs rentrer dedans et les bouger. C’est une équipe qui joue avec du cœur un peu à l’image de ce qu’on avait vu chez les garçons l’année dernière. C’est dommage parce que parfois elles en oubliaient même de jouer, on sentait qu’elles voulaient envoyer le ballon le plus loin possible.

A.G : Je n’ai pas trop aimé notre première mi-temps, même s’il faut se remettre dans le contexte d’un match d’ouverture. En général, les Bleues ont été trop timides, manquant souvent d’agressivité. L’état d’esprit islandais m’a paru limite aussi, avec le coach islandais qui, on le voyait sur les images, râlait pour rien. Comme sur une action en première mi-temps où Le Sommer prend un bon coup et qu’il lui dit « relève-toi », « relève toi », j’ai trouvé sa mentalité moyenne.

Selon vous, quels ont été les points forts et les points faibles de chaque équipe ?

 

S.J : Côté français, j’ai bien aimé le pressing haut qu’elles ont exercé pour empêcher les relances islandaises. Quand une équipe est au-dessus d’une autre, on sent souvent cette capacité athlétique à presser et à récupérer haut, un peu comme en D1 lorsqu’on affronte Lyon ou Paris. La possession et la maîtrise m’ont plu, je ne vais pas dire que c’était un « attaque-défense » mais plus le match avançait plus ça y ressemblait. Dans les points négatifs, il y a eu beaucoup d’imprécision dans le jeu long d’entrée de match, elles ont manqué de qualité technique à ce niveau-là. Les Bleues ont aussi fait preuve d’un manque de lucidité criant dans la dernière passe. Autant il y avait beaucoup de qualité technique pour emmener le ballon et créer du déséquilibre, par contre une fois que le déséquilibre était créé, dans le dernier geste ça manquait de lucidité.

 

Côté islandais, j’ai bien aimé l’impact mis dans ce match, ça faisait partie des armes pour lutter, même si malheureusement ils l’ont fait à l’excès, jusqu’à concéder un penalty. J’ai aussi apprécié le pressing que l’Islande exerçait sur les deux défenseures centrales de l’équipe de France lorsque Sarah Bouhaddi avait le ballon. On a vu qu’à chaque fois que Wendie Renard avait l’occasion de percuter, elle apportait du danger, et faire cela permettait de l’empêcher d’être dangereuse, j’ai trouvé ça très intéressant. A l’inverse de la France, j’ai trouvé beaucoup de qualité sur les remises en jeu, notamment les touches où elles avaient une capacité importante à créer le danger. C’est une équipe qui a de la qualité mais pour sortir de ce groupe, et je pense qu’ils en ont les moyens, il va falloir proposer autre chose.

A.G : L’état d’esprit islandais restait quand même leur point fort en général. Le fait qu’elles ne lâchent rien quand elles subissaient, qu’elles restent compactes, m’a plu.

Chez les Françaises, dès qu’elles jouaient plus rapidement, on voyait qu’elles trouvaient les décalages et c’était intéressant, par contre j’ai trouvé que sur les côtés, on n’arrivait pas assez à déborder. En général, je trouve que nos deux latérales n’ont pas assez apporté offensivement. Par contre le milieu de terrain a été très bon. Ça manque un peu d’automatisme mais le collectif en général est bon. Autre point noir toutefois, les sautes de concentration en défense qui auraient pu coûter cher, même sur la sortie de Bouhaddi (69′). A la télé, j’entendais dire que c’était une très bonne sortie, mais quand même elle a eu de la chance que l’Islandaise n’ait pas un bon pied parce que pour moi elle était déjà éliminée (rire) ! Ça aurait pu se transformer en bourde mais la balance a penché du bon côté et au final tant mieux, surtout pour elle. On sait que les critiques vont vite et ça aurait pu lui faire mal d’entrée.

 

Quelles ont été les 3 joueuses françaises qui se sont distinguées ? Quelles sont les joueuses islandaises qui vous ont impressionné(e)s ?

 

S.J : Je dirais Le Sommer, parce que je l’ai trouvée intéressante, percutante, propre dans ses prises de balles, avec à chaque fois une capacité à créer du danger. Henry pour ses facultés de récupération, de relance, ses passes qui ont cassé les lignes, et Karchaoui, une jeune joueuse qui, pour sa première grande compétition, a fait un match propre dans la récupération, en gagnant beaucoup de duels. Elle a beaucoup plus apporté au niveau défensif, mais également offensif, que l’a fait Houara à droite.

Pour l’Islande, je dirai que celle qui est sortie du lot c’est la gardienne Gudbjörg Gunnarsdóttir, forcément. Elle a fait un bon match, a été propre dans ses sorties aériennes, elle a été très bien.

A.G : Même si la gardienne n’a pas fait un bon match je trouve, elle a même énormément de chance que sa défenseure l’ait supplée sur sa ligne en début de match ! Je désignerais plus le collectif islandais en général.
Côté français je suis presque d’accord avec Sébastien. Je mettrais Henry et Abily, qui, au milieu de terrain, ont vraiment fait un super boulot de récupération, tout en permettant aussi à l’équipe de se projeter vers l’avant. Elles ont été assez justes techniquement. Et puis je dirai Le Sommer par son activité, ses déplacements. Et puis sur le penalty il faut garder son sang-froid, elle a pris ses responsabilités et ça va l’aider pour la suite. Surtout, elle a encore abattu un bon travail défensif, ce qui prouve que c’est une attaquante complète.

 

Qu’avez-vous pensé de l’arbitrage ?

 

S.J : J’ai du mal à comprendre certaines décisions, il y a une faute flagrante sur Wendie Renard qu’on ne siffle pas (12′). Elle siffle également en fin de match (86′), mais la faute toute aussi évidente du début aurait dû être sifflée également ! Cela aurait pu donner une toute autre physionomie à la rencontre, on aurait vu une équipe de France peut-être plus relâchée. Dans l’impact et l’engagement que mettaient les islandaises, ne pas donner de carton, alors qu’on donne un jaune à Wendie Renard sur une faute pas si flagrante (16′)… Je ne sais pas qui sera l’arbitre de la finale de l’Euro mais je pense déjà savoir qui ne l’arbitrera pas (sourire). Je n’ai pas trouvé que c’était l’arbitrage de l’année.

 

A.G : En fait ce n’était pas du tout logique, ni juste. A partir du moment où on n’est pas juste, c’est difficile de faire un bon match parce que cela à contribuer à créer de la frustration des deux côtés. Le carton jaune sur Renard déséquilibre tout le match, parce que si elle met un avertissement là, elle doit en sortir beaucoup plus, même pour Laura Georges qui fait un tacle « limite-limite » après et s’en sort juste avec un avertissement verbal, ou encore la faute sur Abily (à la 33e minute) au niveau de la surface, à gauche, qui aurait même pu valoir un rouge. Concernant le penalty non sifflé aux Islandaises (juste avant la première mi-temps, NDLR), c’est difficile de se prononcer, mais reste que l’arbitrage a été très moyen.

 

Si vous deviez retenir un fait marquant du match, quel serait-il ?

 

S.J : Pour moi il y en a eu trois : le ballon sauvé à la 35ème minute, le ballon sur la barre de Wendie Renard, et bien sûr le penalty qui offre la victoire aux bleues en fin de rencontre. J’ai bien aimé l’entrée de Gaëtane Thiney, qui a apporté beaucoup de percussion. Ses mouvements n’ont pas débouché sur une action décisive mais j’ai bien aimé ce qu’elle a amené.

A.G : Avant le but, j’aurais dit la barre transversale de Wendie Renard. C’est un fait marquant parce qu’après ça la France aurait pu baisser les bras et conserver le score, sauf que cette fois on a vu qu’elles avaient continué d’aller de l’avant, et ça démontre que même quand elles n’ont pas de chance, elles continuent d’aller de l’avant. La barre symbolise le manque de réussite qui aurait pu les pénaliser ce soir, sauf que tout le monde a continué d’y croire, et c’est important d’avoir cette mentalité, même quand on manque de réussite.

Ce n’est que le début de la compétition, mais sentez-vous les Bleues capables de remporter une médaille, enfin ?

 

S.J : Il est tôt pour en parler. L’équipe possède une qualité indéniable, c’est déjà le cas depuis longtemps. Ce qui est bien c’est qu’avant, elles avaient l’habitude de rentrer dans la compétition par la facilité, en ayant des scores assez larges, mais là elles ont su puiser dans leurs ressources pour aller s’imposer face à un adversaire au mental assez fort. Je pense que ça se jouera sur des détails, puisque c’est sur le mental que cela s’est joué lors des dernières compétitions, avec une équipe de France qui se manquait sur les matches à enjeux. J’attends donc de voir pour savoir si ce cap est passé, si on arrive à aller au bout ou si, dès qu’un match couperet arrive, nous aurons les jambes qui flagellent.

A.G : Bien sûr que la France peut le faire. On voit que la compétition est serrée ! Même l’Islande, qui pourrait passer pour un petit pays, a donné du fil à retordre. On voit que chaque match est disputé. Surtout, je pense que le sélectionneur a insisté sur la cohésion d’équipe, et que c’est ce qui manquait lors des dernières compétitions, quand je vois des interviews ou des images, je ressens quelque chose que je ne voyais pas avant. Après cela se jouera sur des détails, il faut avoir cette chance qu’elles n’ont pas eue, mais ça ne tient qu’à elles, c’est elles qui sont sur le terrain.

 

 

Enfin, une anecdote qui vous a fait sourire ou qui vous a étonné(e) au cours de la rencontre ?

 

S.J : J’ai bien aimé l’entrée de Harpa Thorsteinsdóttir, en fin de match. C’est quelque chose qu’on ne verrait pas, ou très peu, en France, parce qu’elle vient d’avoir son deuxième enfant. Et chez nous on s’aperçoit que, dès que les filles veulent laisser plus de place à leur vie personnelle, cela prend très souvent le pas sur leur carrière sportive, alors qu’elle a deux enfants, et a fini meilleure buteuse des phases de qualification à l’Euro (10 buts). Et en plus de sa vie de famille, elle participe à la compétition. Je trouve que cela situe les valeurs et la façon dont on aborde la femme par rapport à sa carrière sportive là-bas qui est très différente de celle qu’on a en France. Chez nous, quand une fille tombe enceinte, ça coïncide souvent avec l’arrêt de sa carrière, et pour moi cet exemple pourrait servir à de nombreuses joueuses dans leur vie de femme. C’est un élément qu’on ne prend pas forcément en compte dans une carrière de sportif, alors que chez les femmes, on dirait qu’elles sont obligées de faire un choix : le sport ou la vie de famille, et que les deux ne sont pas vraiment compatibles.

 

A.G : Je retiendrai la titularisation surprise de Clarisse Le Bihan, ça m’a fait plaisir de la voir titulaire et qu’elle ait du temps de jeu (sourire) ! On a fait quelques sélections ensemble en équipe de France jeune, et on a fait les Universiades toutes les deux en Corée du Sud il y a deux ans. J’espère que sa blessure n’est pas grave !

 

 

Avez-vous échangé avec votre entourage à propos de l’Euro 2017 ?

 

S.J : Je n’ai pas énormément parlé de l’Euro à mon entourage, les seuls avec qui on en a discuté sont les dirigeants (de Soyaux, NDLR). Ce qui nous a le plus surpris depuis le début c’est la victoire de la Hollande au premier match (face à la Norvège, 1-0 NDLR), même si ça peut se comprendre puisqu’il y a une équipe de qualité, qui joue à domicile. Sinon j’attends d’avoir vu tous les matches et toutes les équipes afin d’échanger sur certaines joueuses. Bon après on a une actualité chargée au niveau du club et on a beaucoup de choses à traiter aussi en ce moment…

 

A.G : Quand je parle de foot en général, beaucoup de gens me questionnent sur l’Euro, même en dehors de ma famille. C’est bien, on voit que l’intérêt pour le foot féminin grandit. Que ce soit diffusé sur France 2, je trouve ça important, il y a une grosse communication et ça montre l’évolution des mentalités en France. Après au niveau de ma famille bien sûr qu’on en a parlé, parce qu’on est une famille de foot. Ce que je trouve bien c’est qu’il n’y a pas de score fleuve, un 6-0 comme on pourrait en avoir encore en D1, et c’est important pour l’image du foot féminin. Cela montre que le foot se développe en Europe, pas seulement en France, et pas seulement chez les garçons. On le voit bien avec l’Espagne notamment, tout le foot féminin se développe. >>

 

 

Crédits photos : Charente Libre / Jean-Louis Bories – Centre Presse Aveyron

blender bitcoin bitcoin mixer bitcoin blender blender io cryptomixer