Dans les instances du foot français : où sont les femmes ?

C’était l’un des objectifs de Noël le Graët à son arrivée à la tête de la FFF en juin 2011 : féminiser les instances du football français. Aujourd’hui, cinq ans plus tard, il y a du mieux… mais encore beaucoup d’efforts à fournir. Enquête, à l’occasion des Quatre Saisons du sport féminin ce week-end

 

 

 

 

Un paquebot ne bouge pas comme ça. Ce n’est pas nous qui le disons, mais Frédérique Jossinet elle-même. En charge de la féminisation à la Fédération française de football, l’ancienne judokate internationale reconnaît qu’il y a cinq ans, avant l’arrivée de Noël le Graët à la tête de la « fédé », les femmes n’étaient « lpas forcément la priorité ». En 2011, il n’y avait en effet aucune femme à la tête de commission(s) fédérale(s). Un chiffre qui reflète bien la difficulté des femmes à s’installer aux postes dirigeants du football français.

 

Encore du chemin à parcourir

Car si aujourd’hui elles sont 33 000 (contre 21 000 en 2010) à s’occuper d’équipes (féminines pour la plupart, et principalement d’équipes jeunes), ou à travailler dans les bureaux des clubs, districts ou de la fédération, elles restent presqu’absentes des photos officielles. Au comité exécutif de la FFF : une seule femme parmi les 10 élus, Brigitte Henriques, la secrétaire générale. À la Haute autorité du football de la FFF : 2 femmes sur 20, qui semblent trôner dans l’organigramme pour leur seule condition féminine aux côtés de « 2 médecins », « 2 membres représentant le football amateur », ou encore « 2 membres représentant les présidents de districts ».

Et si à la Fédération, le discours est au début policé, rappelant que Florence Hardoin est à la fédération ce que Jérôme Valcke est à la Fifa (n°2) – on ne lui souhaite pas la même fin-, que la FFF « compte 50% de femmes parmi ses salariés » et que le comité directeur en compte 40%, on avoue ensuite qu’il « reste beaucoup de choses à faire ».

« C’est la même chose qu’en politique ou en entreprise », constate Joël Decleir, président de la commission de féminisation à la Ligue de Lorraine, qui ne compte qu’une femme élue au comité directeur, chargée… de représenter les féminines. « Je travaillais dans le milieu industriel avant, et il n’y avait pas de femmes aux postes à responsabilité pendant longtemps, on a été obligé d’en mettre et ce jour-là, on s’est dit mais pourquoi on ne l’a pas fait plus tôt… Ce sera pareil dans le foot ».

 

 

 « Les ¾ des clubs féminins sont dirigés par des hommes »

« On rattrape le retard accumulé depuis de nombreuses années », se félicite Frédérique Jossinet, appelée par Brigitte Henriques pour prendre le dossier de la féminisation à bras le corps, « mais il ne faut pas aller trop vite : il faut former un maximum de femmes pour que certaines aient envie d’accéder aux postes à responsabilité ». L’objectif : 40 000 femmes formées à la fin du mandat en décembre 2016 (soit 7 000 de plus qu’aujourd’hui) pour ensuite « que certaines aient l’envie et la capacité de diriger au sein des ligues districts ou clubs ». Aujourd’hui, seules deux ligues sont en effet dirigées par des femmes (une vice-présidente en Île de France et une trésorière générale en Franche-Comté) et un seul district (la Nièvre). Quant aux clubs professionnels… « Les trois quart des clubs féminins sont dirigés par des hommes », rapporte dans ses travaux Marie-Stéphanie Abouna, sociologue et chercheuse associée au labo CIMEOS et spécialiste du genre. « Il n’y a pas de femme dans les structures des équipes masculines, sauf dans les équipes juniors », où la chercheuse souligne alors une position dans un « prolongement du rôle maternel ». Les femmes ne seraient bonnes qu’à diriger les équipes de leurs propres enfants ? Heureusement, la situation change, même doucement. 

A la Ligue de Champagne-Ardenne, Isabelle Gianneta est depuis deux ans la première femme élue. Médecin du centre de formation du Stade de Reims, elle est à la Ligue la représentante des Féminines, mais ne voit pas cela comme un problème. « Je me sens seule c’est vrai… mais en même temps il n’y a pas foule de candidates ». Dans son domaine : elle ne connaît pas d’autres médedins du sport, dans le foot, dans la région. Si elle n’a jamais ressenti de machisme dans la foot, elle qui a toujours baigné dedans par sa famille, elle reconnaît qu’augmenter le nombre de femmes pourrait être bénéfique. « On a une approche particulière. Je le vois au centre de formation, avec les ados ». Mais la question pour elle, n’est pas le sexe, « il faut regarder les compétences », et « amener les femmes au foot, bien sûr ». Si Isabelle Gianneta s’implique à la Ligue en plus de son travail au Stade de Reims et dans son cabinet de médecin libéral, elle peut comprendre que « les femmes n’ont pas forcément le temps de s’investir dans le foot ». « Je ne dis pas que toutes les femmes sont au foyer, mais celles qui travaillent veulent peut être voir leurs enfants les soirs et week-end, et dans tous les cas, il faut déjà trouver des femmes qui s’intéressent suffisament au foot pour y passer tant de temps ». Elle espère en voir arriver… pour se sentir moins seule.

 

 

« Je me sens seule c’est vrai… mais en même temps il n’y a pas foule de candidates »

 

 

2014 est un tournant en France. Avec l’arrivée de Corinne Diacre sur les bancs de l’équipe de Clermont-Ferrand en Ligue 2 masculine, et celle de Stéphanie Frappart au poste d’arbitre central pour des matches masculins, également en L2, les instances du foot français évoluent. « Il faut des pionnières, et si elles restent pour l’instant des exceptions, elles sont surtout des exemples », félicite Frédérique Jossinet. « La barrière que l’on doit franchir est d’aider les femmes à se former, mais on a reçu depuis septembre toutes les ligues pour échanger autour de la féminisation, et on est persuadé à la fédération, que les élections de 2016 (renouvellement des instances avant les élections à la FFF en 2017) peuvent apporter un changement.. que l’on encourage d’ailleurs ! » Pour Joël Decleir, qui revient justement d’un séminaire consacré au foot féminin et à la féminisation à la FFF, « le problème est que les femmes ne connaissent pas les instances ». Alors qu’elles sont nombreuses, passionnées, sur les bords des terrains, personne ne va les chercher pour qu’elles intègrent les instances. Lui a organisé une réunion avec des éducatrices, pour expliquer comment fonctionne sa ligue, les responsabilités à prendre… et deux femmes ont rejoint sa commission. « Dans les ligues comme dans les districts, il y a tellement de choses à faire… et les femmes peuvent nous apporter beaucoup, leur vision différente et leur efficacité à prendre des décisions notamment. Encore faut il qu’elles sachent qu’on a besoin d’elles ! ».

 

11% de femmes dans les instances du foot français

On peut noter les chiffres de croissance des dernières années. En effet, en 2011 les femmes représentaient 5% des membres des comités directeurs de ligues, elles sont aujourd’hui 11%. « On a doublé », se félicite l’ancienne sportive de haut-niveau, motivée par le challenge. Même chose dans les bureaux des ligues avec 6% de femmes aujourd’hui, contre 1% en 2011. Dans les districts, elles étaient 6% dans les comités directeurs et 5% dans les bureaux, elles sont aujourd’hui respectivement 10 et 7%. Des chiffres qui restent faibles, mais montrent une évolution. « Au total, les femmes représentent 11% des instances dirigeantes » (niveaux national, régional et départemental), conclut l’ambassadrice du sujet à la Fédé.

« Le foot fait partie de notre culture et de notre société, c’est déjà bon signe qu’une Fédération jusque là réputée macho s’y mette. On prend le taureau par les cornes », assure Frédérique Jossinnet. Cette politique est soutenue par le président Le Graët et Brigitte Henriques, qui croient fermement « à l’apport bénéfique des femmes dans le football ». Car si les femmes sont ultra minoritaires dans les instances du foot français, elles ne sont guère plus nombreuses à l’Assemblée nationale (20%).

 

 « J’ai déjà une femme à la maison, je vais pas en plus en avoir au foot »

 « La loi égalité de 2014 va nous aider à faire évoluer les choses », reconnaît Frédérique Jossinet, « il faudra 25% d’élues au niveau national en 2016». En attendant, « elles sont de plus en plus dans les bureaux, chez les administratifs, et on va les former pour créer un vivier afin qu’elles accèdent aux postes pour les élections futures », avance-t-elle, convaincue de sa mission, regardant les chiffres dans son bureau de la FFF. Un pari sur le long terme. Car pour Joël Decleir, dans sa ligue de Lorraine, comme partout en France, il manque des femmes, mais aussi des jeunes aux postes de dirigeants. « Les élus sont souvent là depuis longtemps, et le problème est que pour faire rentrer un membre, il faut en faire sortir un, et beaucoup sont accrochés à leur poste ». S’il a déjà entendu certains répéter « j’ai déjà une femme à la maison je vais pas en plus en avoir au foot », il reste persuadé que les choses vont évoluer avec le temps… et le changement de mentalité.

Dernière mission, et pas des moindres : créer des vocations chez les anciennes internationales. Après Corinne Diacre, Sandrine Soubeyrand, Sonia Bompastor et Laura Georges sont actuellement en formation. « Elles seront des exemples, comme l’est la très belle équipe de France actuelle, qui fait progresser le nombre de licenciées ».

 

 

 

 

 

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