Bretigny-Dusang : «Quelque chose de rare dans le foot»

Grandes amies sur le terrain et dans la vie, Sandrine Dusang et Sandrine Brétigny ont toutes les deux pris leur retraite du football à l’issue de Juvisy-OM lors de la 22e et dernière journée de D1. Quelques semaines après avoir tourné une page importante de leur vie, les deux ex-joueuses reviennent sur leur souvenir et leur amitié inébranlable.

 

 

 

 

Il y a des histoires qui sont plus belles et plus fortes que tout. Plus qu’un prénom, Sandrine Dusang et Sandrine Brétigny partagent surtout un palmarès (presque) commun et une carrière vécue en «double», faite de départs et de croisements, jusqu’à un dénouement qui a voulu- signe du destin – qu’elles terminent toutes deux leur carrière le même jour, sur le même terrain, mais dans deux camps opposés cette fois. C’était le 25 mai dernier, lors de la dernière journée de championnat entre Juvisy et l’OM, au stade Robert Bobin de Bondoufle. Retraitées mais loin de chômer, l’une préparant un voyage au Kilimandjaro et la seconde officiant toujours comme coach sportive, elles ont néanmoins accepté de revenir sur un parcours en tandem.

 

Foot d’Elles : Lors du dernier match de votre carrière, vous avez toutes deux eu le droit à une haie d’honneur lors de votre sortie du terrain. Quelles émotions avez-vous ressenties à ce moment ?

Sandrine Dusang : «Il y a eu pas mal d’émotions, même si j’ai réussi à me contenir. Au-delà du fait que ce soit la fin de l’aventure avec Juvisy, c’était surtout la fin de mon aventure footballistique. C’est ce qui me passionne depuis que je suis petite, je pratique depuis que j’ai 6 ans donc forcément, ça va changer ma vie. Mais il y a beaucoup d’autres choses à vivre à côté aussi, je pense que mon temps était arrivé.

Sandrine Brétigny : C’est vrai qu’un peu tous les sentiments me sont passés par la tête, j’ai vu défiler à vitesse grand V l’ensemble de ma carrière. C’est toujours difficile d’arrêter mais après j’étais vraiment contente que ça se fasse le même jour que Sandrine, c’était un beau hasard.

 

Que ferez-vous après ? Vous avez prévu de continuer dans le foot ?

S.D : Si je devais rester dans ce milieu, ce serait plus au niveau de la communication, au niveau de ce que je fais en tant que consultante pour Foot d’Elles ou d’autre médias, mais en tout cas pas dans quelque chose de technique. Entraîner ce n’est pas mon truc, je l’ai senti rapidement. Le plan maintenant ça va être de trouver du travail dans le sud, continuer de bosser sur des missions de consulting, on verra si ça me permettra de vivre en tout cas c’est quelque chose sur laquelle je suis partie. Et puis bien sûr continuer à promouvoir le football féminin ! 

S.B : Moi je suis coach sportif personnalisé, donc pour le moment je continuer à exercer cette profession. Sinon j’ai des projets en cours, mais je ne peux pas en parler pour l’instant (sourire). Pour l’instant, j’ai mon travail, et on verra après. Continuer dans le foot ? Oui c’est envisageable, après je ne sais pas dans quoi ni dans combien de temps, mais c’est possible parce que je pense que ça va me manquer.

 

– Quel souvenir gardez-vous de votre première rencontre ?

S.B : Je sais que c’était à Clairefontaine, mais je n’en ai pas le souvenir exact. Je me rappelle que ça devait être en sélection U19 ou 21.
S.D : Oui c’est ça, en sélection U19, enfin U18 comme ça s’appelait à l’époque. On était chambre voisine, je me rappelle et on partageait le même balcon. C’est quelqu’un avec qui j’ai accroché rapidement parce qu’on était dans le même délire, c’est une fille qui a première vue peut sembler un peu dure, froide, et au final elle n’est absolument pas comme ça quand on la découvre. C’est une personnalité attachante et c’est quelque chose que j’ai ressenti dès le départ.

– Le duo Brétigny-Dusang, c’est surtout la période lyonnaise, qui a duré de 2003 à 2012… Qu’en retenez-vous ?

S.D : Un peu tout. C’est vrai qu’elle était arrivée un peu avant moi (en 2000, NDLR) mais je l’ai rejointe un peu plus plus tard (en 2003)…. Quand je suis arrivée à Lyon, ça s’appelait encore le FC Lyon, donc moi ce que je retiens c’est surtout l’évolution du club en fait. Parce que ce que Jean-Michel Aulas a fait c’est énorme. L’intérêt qu’il a porté au foot féminin ce n’était pas juste pour faire plaisir, il a voulu construire quelque chose et il y est arrivé, quand on voit ce que c’est devenu aujourd’hui. Après, ce que je retiens, ce sont les titres, forcément. J’ai tout gagné au moins une fois avec Lyon. La Ligue des champions restera l’un des moments les plus forts, même si on a vécu d’autres belle chose comme le doublé en 2008 (Coupe et championnat), d’autant plus que les garçons avaient fait le doublé aussi cette année-là et du coup c’était la première année qu’on fêtait cela à Saint-Tropez, garçons et filles réunis.

S.B : C’était une coéquipière comme les autres au départ, puis le fait de partager notre quotidien au foot par la suite on a appris à se connaître, et comme elle l’a dit, aujourd’hui c’est devenu une vraie amie, ce qui est rare dans le foot (sourire) ! On joue avec beaucoup de joueuses dans notre carrière mais on ne garde pas beaucoup d’amis. Sur le terrain au départ c’est vrai qu’on était aussi très proches, surtout parce qu’elle jouait numéro 6 à la base. Elle était plus proche de moi sur le terrain, donc il y avait une vraie complicité, je me souviens qu’elle m’a délivré pas mal de passes décisives !

 

– Patrice Lair disait qu’avant l’obtention de la première Ligue des champions (en 2011), on s’intéressait pas plus que ça à l’équipe féminine, parfois même au sein du club. Vous diriez la même chose ?

S.D : Je serais peut-être un peu moins dure, enfin en tout cas au niveau du club ! Je pense que même avant ces résultats on ne peut pas dire ça, parce que si des gens comme Jean-Michel Aulas ne s’intéressaient pas à nous, ils ne se seraient pas investis autant. C’est sûr qu’avant la première Ligue des champions, on n’était pas reconnues comme on l’a été après, que ce soit au niveau des médias ou du public. Mais c’est un peu le cas dans le foot féminin en général, puisque tant qu’on n’a pas de résultats ou qu’on n’arrive pas à atteindre une finale ou demi-finale, on reste dans l’anonymat.

S.B : Oui c’est vrai, de toute façon il n’y a que les résultats qui font parler de nous, la preuve aujourd’hui on parle de Lyon parce qu’elles ont gagné 11 titres de championnes de France et une quatrième coupe d’Europe. Rien qu’au niveau des spectateurs, ça nous changeait, surtout qu’au début on allait à la Plaine des jeux de Gerland, on jouait grand max devant 100 personnes, alors qu’après cette première Ligue des champions, beaucoup plus de gens venaient nous voir et les médias ont commencé à s’intéresser à nous. Le président a réussi à mettre les filles et les garçons sur un pied d’égalité. Je suis vraiment d’accord avec lui (Lair), parce qu’on a besoin de titres. Je vois qu’à Marseille on commence à parler de nous mais ce n’est arrivé que depuis qu’on a battu le PSG. 

 

 

 

– Vous avez vécu beaucoup de choses toutes les deux, quelle est votre plus belle anecdote ?

S.D : (Elle réflechit)… J’ai plus un souvenir de Bret’ qui a fait un truc un peu fou un but. Pour les gens qui la connaissent, «Brétigoal» peut vite devenir hystérique quand elle marque. Je me souviens d’un but qu’elle avait marqué à Gerland où elle s’était un peu emballée (sourire) ! Elle avait voulu glisser sur le ventre, sauf que le terrain était pas du tout mouillé donc du coup… bah elle est restée plantée dans la pelouse ! (rires). Après, c’est tellement de moments forts avec elle, que ce soit dans le foot ou en dehors, que je ne peux pas en ressortir un, j’en ai trop ! (rires). Si ! Une dans l’avion quand nous étions en équipe de France, sur le chemin du retour d’un tournoi de l’Algarve, mais je laisse Brét’ vous raconter (rires) !

S.B : (rires) c’est vrai ! Déjà ce qu’il faut savoir c’est que je suis quelqu’un qui ne supporte pas les maladies, tout ce genre de problèmes. Et pendant le vol, elle nous avait fait un malaise alors que j’étais assise à côté d’elle. C’était une grosse crise, elle est tombée dans les pommes, elle avait les yeux à l’envers et elle ne répondait plus… donc moi j’ai vite paniqué ! Je me suis détachée et j’ai hurlé le nom du docteur afin qu’il vienne vite ! C’est quelque chose qui m’a marqué, parce que j’ai une vraie phobie pour ce genre d’incident.

 

– Comment percevez-vous le futur de vos derniers clubs respectifs, Juvisy et Marseille ?

S.D : J’espère que l’évolution de Juvisy (où elle est arrivée en 2012, NDLR) sera bonne. C’est vrai qu’on entend parler de la fusion du club avec le PFC depuis le début de saison, je souhaite vraiment que cette fusion lui permette d’évoluer encore. Je pense que c’était nécessaire parce que le club faisait tous les efforts possibles, c’est en tout cas comme ça que je l’ai perçu depuis mon arrivée. On sent qu’il y a eu une évolution, que Juvisy essaie de nous mettre dans les meilleures dispositions, mais on sent qu’il manque quelque chose et il semblait que le club tout seul ne pouvait plus le faire. Je me dis que le PFC peut lui apporter un plus au niveau financier d’abord mais aussi au niveau des infrastructures.

S.B : Oui je vois le futur de Marseille (elle y jouait depuis 2015, NDLR) encore plus beau. Après il faut qu’il y ait une vraie volonté des dirigeants de monter l’équipe féminine au sommet. Je pense que ce ne sera pas l’année prochaine, mais que dans les années à venir, Marseille fera partie de l’élite et essaiera d’aller titiller Lyon et le Paris-Saint-Germain.

– Qu’est-ce qui vous impressionnait le plus chez l’autre sur le terrain ?

S.D : Son sens du but, forcément ! C’est pour ça qu’on l’appelait «Bretigoal», son nom était tout trouvé ! On met rarement cette expression au féminin et pourtant je trouve qu’elle lui va bien, c’est une «renarde» des surfaces. Elle ne court pas des kilomètres et des kilomètres mais c’est une joueuse de surface, qui va faire des appels intelligents dans cette zone-là. C’est pour ça qu’elle a été meilleure buteuse du championnat et qu’elle a inscrit 42 buts sur une même saison (en 2006-2007, NDLR), ce qui est toujours un record.

S.B : Sur le terrain, c’est quelqu’un de très serein, très athlétique. L’une de ses grandes force c’était son jeu de tête, je sais qu’elle nous a marqué quelques buts de la tête, sur corner notamment. Et puis c’est quelqu’un sur qui on pouvait compter en défense. Je me souviens d’une époque où elle formait la charnière centrale avec Laura Georges, et je trouve qu’à cette période elle faisait partie des meilleures défenseures d’Europe.

 

– Votre plus gros regret, c’est peut-être de n’avoir jamais pu vivre autant de bons moments ensembles en Equipe de France (Sandrine Dusang compte 47 sélections, Sandrine Brétigny en totalise 22)…

S.D : Oui, on n’a jamais vraiment eu trop de chance avec l’équipe de France A. Pour la prépa à la coupe du monde 2003 elle s’était blessée pendant la préparation à la cheville juste avant de partir. Après on s’est recroisées quelque fois mais à mon tour j’ai été pas mal blessée. J’ai fait l’Euro 2005, elle n’était pas là, et elle a fait l’Euro 2013 et la Coupe du Monde 2011. On a jamais eu le bonheur de faire une compétition majeure ensemble.

S.B : Comme je l’ai dit tout à l’heure, puisque c’est quelqu’un qui est honnête et qui ne triche pas, elle était dans le groupe pour partir à l’Euro 2013, mais 2-3 jours avant de partir elle est allée voir Bruno Bini pour lui dire qu’elle n’était pas à 100%, et qu’elle ne voulait pas priver quelqu’un qui était à fond d’y aller. Elle préférait jouer en étant en pleine possession de ses moyens plutôt que d’être à 50% et d’être sur le terrain à la place d’une autre. Oui là c’était un gros regret.

– Est-ce que d’après vous c’est la bonne année pour l’équipe de France en vue d’un titre, ou est-ce que comme l’a dit Olivier Echouafni, il faut y aller progressivement et d’abord viser une médaille ?

S.D : C’est pénible puisqu’à chaque fois que j’ai dit qu’elles allaient gagner ça ne s’est pas passé donc je ne veux pas porter la poisse (sourire). Plus sérieusement, je pense vraiment que les Bleues ont les moyens pour aller chercher ce titre-là. Elles sont troisième au classement mondial, c’est significatif puisqu’il a évolué et qu’elles ont réussi à rester en haut… et puis il y a cette SheBelieves Cup qu’elles ont remportée en mars. Elles ont montré qu’elles étaient capables de battre de grandes nations et je ne vois pas pourquoi elles ne pourraient pas gagner l’Euro. Après si ça ne se basait que sur ça on le saurait, et on dirait avant même le début de la compétition que la France est championne d’Europe…

S.B : Ce n’est jamais évident de changer d’entraîneur et de reconstruire quelque chose avec ses convictions à lui. Peut-être qu’il a raison de dire qu’il vaut mieux aller chercher un médaille, et après s’il y a un titre au bout au moins il aura doublement atteint son objectif. Mais s’il dit ça ce n’est pas anodin, il a ses convictions et il vit avec l’équipe à chaque stage. Dans les interviews que j’ai vues de lui, il parlait surtout de cet aspect mental qui pour lui n’était pas encore vraiment bien ancré dans cette équipe féminine, donc je pense qu’il va s’axer sur ça»

 

Propos recueilllis par Vincent Roussel

 

Crédits photos : William Maurice / Nelson Fatagraf

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