Bintou Camara, une Aiglonne aux ambitions de Super Lionne

Plus précoce que Corinne Diacre, devenue sélectionneuse de l’équipe de France féminine à 44 ans ? Réponse : Bintou Camara, 35 ans, sélectionneuse de l’équipe féminine du Mali depuis juillet 2017. Une progression professionnelle que l’ancienne joueuse des Super Lionnes attribue en partie à son… baccalauréat, obtenu au début de la décennie 1980.

Le Mali était jadis une république socialiste, à une époque où socialisme rimait avec Chine, Russie et Cuba. Les camarades africains les plus méritants obtenaient des bourses d’études dans les pays frères. Le mérite se mesurait à l’aune des opinions politiques (sinon progouvernementales, du moins peu hostiles au gouvernement) et des diplômes. Au Mali, pays pauvre parmi les pauvres, le baccalauréat conserve depuis toujours un prestige certain. Et avant la chute du mur de Berlin, c’était encore un précieux sésame pour le financement des études dans un pays frère.

Le baccalauréat mène à tout, la preuve par Bintou

Bintou Camara est bachelière. Dans un pays où le système éducatif est resté embryonnaire jusqu’à l’émergence de la démocratie en 1991, le taux d’alphabétisation des filles était encore particulièrement faible vingt ans avant le changement de siècle et de millénaire. C’est grâce à son baccalauréat que Bintou Camara a pu s’offrir des études à Cuba. Des études de coaching footballistique, bien sûr. Rien que de très logique pour la jeune femme qui était, de surcroît, footballeuse dans un pays où l’idole nationale avait pour nom Salif Keïta (on parle ici du footballeur et non pas du chanteur homonyme).

Cinq années. À Cuba, il n’en fallait pas moins pour former des coachs, avec tronc commun omnisport pendant trois ans, puis spécialisation – en l’occurrence, le football – pendant les deux dernières années du cursus. Nantie de son baccalauréat et de son diplôme d’entraîneuse sportive option football, Bintou Camara est revenue au Mali pour y entraîner l’équipe de foot de l’AS Mandé, un club multisport de Bamako. Notons aussi qu’elle a joué dans un autre club malien, celui des Super Lionnes. Si les Maliennes pouvaient évoluer dans des clubs de football sur l’ensemble du territoire national – deux fois plus grand que la France –, on y recensait alors seulement trois femmes au poste d’entraîneur de foot.

Pour gagner, se battre comme des bêtes

Huit ans plus tard, en juillet 2017, Bintou Camara était choisie pour succéder à un sélectionneur national limogé pour n’avoir pas atteint la demi-finale de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) féminine. Bintou a d’abord officié comme adjointe au sélectionneur par intérim, puis comme sélectionneuse à part entière des Aiglonnes, l’équipe nationale féminine de football. Oui, en Afrique, presque toutes les équipes sportives ont un surnom animalier. Des animaux le plus souvent sauvages et puissants, et non pas des perruches ou des campagnols. Notons que Bintou Camara a également joué, là encore au Mali, dans l’équipe des Tigresses.

La nomination de Bintou Camara constitue un honneur d’autant plus grand qu’elle arrive à un âge fort jeune dans ce continent où les cheveux blancs sont survalorisés. C’est aussi un cadeau empoisonné. Car en Afrique de l’Ouest et notamment au Mali, les infrastructures et les budgets sportifs sont aussi peu plantureux qu’un lion décharné, les traditions ne laissent guère prospérer la pratique sportive féminine et les mentalités sont encore rétives à la progression des femmes dans la hiérarchie – même si le Mali est plus en avance que des pays limitrophes sur ce dernier point.

On ne saurait voir dans l’objectif sportif assigné à Bintou Camara un cadeau empoisonné, mais plutôt un stimulant majeur. La nouvelle sélectionneuse doit non seulement parvenir à l’objectif non atteint par son prédécesseur, Oumar « Koplan » Guindo, c’est-à-dire rallier les demi-finales de la CAN, mais en plus monter sur le podium de la prochaine CAN (Ghana, novembre 2018), synonyme de qualification pour la Coupe du monde de football 2019 en France.

Et si l’aigle devenait plus fort que le coq ?

Bintou Camara et ses ambitions sportives n’arrivent pas de nulle part. Entre Mandé et les Aiglonnes, il y a eu l’équipe junior des Aiglonnes, dont Bintou fut aussi la sélectionneuse nationale. Et c’est à ce moment-là qu’elle a compris comment fonctionne son sport au Mali :

« Les dirigeants se foutent pas mal du football féminin. On n’est pas encouragées, ils n’investissent pas dans le foot féminin. »

Nul doute que les mentalités évolueront si Bintou Camara offre des victoires à son pays. Des victoires synonymes aussi d’accomplissement pour la sélectionneuse et les joueuses de l’équipe nationale :

« Une femme n’est pas faite seulement pour la maison. Une femme n’est pas une esclave. On peut s’épanouir, faire du sport et beaucoup d’autres choses. »

Pour préparer les prochaines compétitions à enjeu, Bintou Camara veut multiplier les matches amicaux. Non pas contre des nations de même rang que le Mali (les Aiglonnes émargent au 80e échelon du classement Fifa), mais contre des cadors et non des moindres, à commencer par la France et l’Espagne.

La sélectionneuse et les footballeuses maliennes peuvent compter sur les financements de la Fifa et de la Norvège en matière de promotion des femmes par – et dans – le sport. Des initiatives qui visent à ce que les anglophones nomment empowerment. On le traduira volontiers par un néologisme, empuissancement, qui évoque à la fois le substantif puissance et le verbe semer. Bintou Camara espère devenir cette graine de puissance, donc de victoires. Espérons que le semis aura eu le temps de germer avant Ghana-2018 et France-2019.


Illustrations : Captures vidéo l’Express/Benjamin Chevallier

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